Témoignages - Marie-Brigitte ANTOS

 

Marie-Brigitte ANTOS, exposante parmi les pages de l'association "ATP - Art et Techniques de la Peinture" depuis déjà quelque temps, nous a envoyé ce document concernant ses premières expérimentations avec le médium Maroger et un aperçu des échanges que nous avons pu avoir à ce sujet. Nous l'en remercions chaleureusement.

 

 

Découverte des médiums, en particulier du Maroger

 

 

Marie-Brigitte ANTOS : La première fois que j’ai découvert le médium Maroger au cours de mes lectures, c’est dans un article du peintre américain David Leffel. J’étais loin de penser que l’utilisation de ce produit ferait mon bonheur et faciliterait ma technique à l’huile.

Par la suite, ma curiosité m'a fait découvrir « l’Atelier des Fontaines ».  Je me suis hâtée de commander ce produit. Cependant, mes premières tentatives furent décevantes.

 

Christian VIBERT : C’est-à-dire ? Que s’est-il passé ? Pourquoi cette déception au premier contact ?

 

M.-B. A. : Je l’utilisais sans aucune dilution et l’épaisseur de la pâte picturale mêlée à ce médium m’obligeait à malaxer la peinture et ceci me freinait dans la réalisation de mon tableau.

J'ai donc laissé ce médium hors de ma palette avec un goût amer, mais bien ancré dans ma mémoire.

Entre temps, j'ai suivi un workshop en Hollande avec le peintre  Jurney qui m'a fait connaître un autre médium du nom de Liquin, produit de qualité moyenne, pratique, mais peu agréable et qui conduit à une peinture terne.

 

C. V. : Il s'agit d'un médium alkyde, qui se veut le remplaçant des fameux médiums au copal depuis que ces résines se sont faites extrêmement rares sur le marché.

 

M.-B. A. : C’est à la suite de cette expérience que j’ai suivi un stage sur l’utilisation du médium Maroger à l’Atelier "Arts et Techniques de la Peinture" que tu diriges. Depuis ce jour, j’utilise le « Maroger » et j’essaie de l'adapter à ma facture.

 

C. V. : Ce médium est extrêmement polyvalent. Dans le mode d'emploi que je joins aux envois, j'expose en détail la manière de l'utiliser. Durant les stages, tu as pu constater que nous voyons comment le composer et que nous le testons en situation. Maintenant, je ne peux que rapporter l'expérience que j'en ai en tant que fabricant et utilisateur. Tout peintre doit adapter les matériaux qu'il utilise à sa pratique spécifique.

 

M.-B. A. : Jusqu'à présent, je fabriquais mon médium au fur et à mesure de l’avancement de mon tableau en mélangeant 1/3 de térébenthine, 1/3 de vernis Dammar et  1/3 d’huile de lin.

 

C. V. : Recette considérée comme classique dans nombre d’ateliers.

 

M.-B. A. : A chaque couche (environ 3 ou 4), j’enrichissais ce médium de quelques gouttes d’huile de lin et je diminuais ou supprimais l’essence (voir mon explication plus en détail sur mon site (www.brigitteantos.odexpo.com). Hélas, ce procédé est générateur d’embus, les transparences et les glacis demandent beaucoup de savoir-faire et de maîtrise pour un résultat incertain, et le temps de séchage entre les couches est de l’ordre de quelques jours si on ne rajoute pas de siccatif. En revanche, si toutes les conditions sont réunies, en respectant finement les proportions, alors le résultat donne un vernis proche des peintures anciennes.

 

 

Utilisation du médium Maroger

 

 

C. V. : Sur quel support travailles-tu ? Sur quel enduit ? Comment esquisses-tu ton dessin ? Au fusain ? Fixé ou non ? Comment ? Directement à l'huile ? Combien de couches au médium seul avant une reprise à l'émulsion ?

Je te pose toutes ces questions pour mieux saisir les conditions dans lesquelles tu travailles, qui sont très certainement bien différentes de ma propre manière de procéder. Mais, justement, le médium Maroger, en particulier employé dans le cadre de la technique mixte, permet un développement du travail extrêmement adaptable à la manière de chacun.

 

M.-B. A. : En m’appuyant sur la réalisation d’une nature morte en cours, je vais essayer de répondre à tes questions.

J’utilise une toile synthétique déjà préparée au gesso acrylique. J'y pose une couche d’imprimature d’ocre rouge à l'huile mélangée à de l’essence de térébenthine.

 

C. V. : Laissée à sécher, mais sans aucun agent siccatif ? Cela doit prendre quelques jours avant que tu puisses reprendre sans diluer ton imprimature.

 

M.-B. A. : ​Sans siccatif, dans la mesure où je prépare mes toiles à l'avance.

Je dessine au fusain, aussi précisément que possible, le contour de chaque élément en y ajoutant parfois les ombres. Ensuite, je reprends le dessin avec la peinture à l’huile (ombre naturelle) mélangée avec de l’essence de térébenthine, mais sans fixer le fusain. Je continue jusqu’à obtenir une grisaille comme ci-dessous.

 

 

nature-morte-brigitte-antos-medium-maroger-atelier-fontaines-1.jpg
Marie-Brigitte ANTOS Nature morte
(expérimentation sur toile)

 

 

 

 

C. V. : Donc tu mêles ton fusain à la peinture ?

 

M.-B. A. : ​Oui.

 

C. V. : Bien que le noir de carbone sèche mal par lui-même dans l’huile, du fait du mélange avec la terre d’ombre, naturellement très siccative, cela doit sécher assez vite.

 

 

 

 

 

 

M.-B. A. : Je prépare différents mélanges de médium Maroger  et d’essence de térébenthine dans les proportions suivantes :

N°1 :  1 volume de médium et 6 volumes d’essence.

N°2 :  1 volume de médium et 4 volumes d’essence.

N°3 :  1 volume de médium et 2 volumes d’essence.

J’étale une couche du mélange n°1 sur toute la toile.

 

C. V. : Qui te sert donc de vernis à retoucher.

 

M.-B. A. : Je positionne les lumières avec du blanc de plomb et de l’émulsion composée à partir du médium Maroger pour obtenir le résultat suivant :

 

 

nature-morte-brigitte-antos-medium-maroger-atelier-fontaines-2.jpg
Marie-Brigitte ANTOS Nature morte
(expérimentation sur toile)

 

 

 

C. V. : Pas de problème. Reprise dans le frais à l’émulsion sur le vernis à retoucher "maigre sur gras". Cela convient.

Question : où trouves-tu ton blanc de plomb ?

 

M.-B. A. : J’en ai acheté chez BLOCKX, à Amsterdam (question récurrente parmi les personnes avec lesquelles je suis en contact).

 

 

 

 

 

 

M.-B. A. : Ensuite, je travaille la couleur en utilisant le mélange n°1 pour obtenir le résultat suivant :

 

 

nature-morte-brigitte-antos-medium-maroger-atelier-fontaines-3.jpg
Marie-Brigitte ANTOS Nature morte
(expérimentation sur toile)

 

 

 

 

 

C. V. : Donc un médium très léger. Toujours d'accord.

 

M.-B. A. : Je continue jusqu’à couvrir l’ensemble de la toile.

 

 

 

 

 

 

nature-morte-brigitte-antos-medium-maroger-atelier-fontaines-5.jpg
Marie-Brigitte ANTOS Nature morte
(expérimentation sur toile)

 

M.-B. A. : Je reprends les parties éclairées avec l’émulsion. Je recommence cette opération plusieurs fois avec le mélange n°2 et le mélange n°3, suivis par l’émulsion pour les parties claires.

 

Remarque : ce travail n’est pas fait  systématiquement.

 

 

C. V. : Si tu reprends bien à l’émulsion sur le médium dans le frais, pas de problème.

Ton médium devient plus riche au fur et à mesure. Tu dois donc gagner en transparence.

 

 

 

M.-B. A. : Le résultat final (ou presque) est le suivant :

 

nature-morte-brigitte-antos-medium-maroger-atelier-fontaines-7.jpg
Marie-Brigitte ANTOS Nature morte
(expérimentation sur toile)

 

C. V. : Sympathique. Il serait intéressant d’avoir quelques très gros plans pour apprécier la matière obtenue.

 

M.-B. A. : En réalisant ce tableau, ma difficulté a été de trouver  la juste couleur du fond et de la bouteille, car je ne voulais pas que la bouteille sépare la composition en deux parties. Malgré mes nombreuses reprises de couleurs pour garder cet équilibre de composition, je n’ai pas obtenu d’embus.

 

C. V. : Si tu travailles bien en alternant le médium et l’émulsion, les parties au médium gagnent au fur et à mesure en brillant ; les parties à l’émulsion, en matité. Et, effectivement, ces mats ou satinés ne sont pas des embus. Cette différence de matière atteste seulement du traitement varié appliqué à l’ombre et à la lumière, ce qui va dans le sens de la logique picturale appliquée depuis la Renaissance jusqu’à la fin du XIXème siècle. Cette différenciation contribue à la caresse visuelle qu’on en retire, à la sensation de lumière, de profondeur et donc à l'expression de la troisième dimension.

 

M.-B. A. : La superposition de nombreuses couches de médium et d’émulsion m’a permis de réaliser des épaisseurs qui donnent des couches de couleur translucides plutôt  remarquables.

 

C. V. : N’est-ce pas !

 

M.-B. A. : Cependant, quelques jours après, la peinture a présenté des fissures autour de la région où j’ai utilisé une importante quantité d’émulsion (justement vers la bouteille).  Il me semble que c’est plutôt lié à une « rétractation » de la matière, ce qui me paraît inquiétant et inattendu. Ce phénomène est peut-être dû au fait d’avoir effectué une reprise sur une partie sèche sans avoir préalablement passé une couche de médium.

 

 

nature-morte-brigitte-antos-medium-maroger-atelier-fontaines-8.jpg
Marie-Brigitte ANTOS Nature morte
(expérimentation sur toile)

 

C. V. : Si tu as repris uniquement à l’émulsion sur une couche préalablement sèche de médium riche, du type de ton mélange n° 2, et surtout n° 3, cela n’est pas étonnant… Tu contreviens à la seule règle impérative en technique mixte : on peut peindre maigre sur gras, mais dans le frais !

 

M.-B. A. : Je respecte toujours l’alternance de couches grasses sur couches maigres.

 

C. V. : Oui, quand tu reprends au médium sur ton travail précédent déjà sec. Mais tu avances l'idée que tu aurais pu reprendre à l'émulsion sur une partie déjà sèche. Es-tu sûre qu'elle n'était pas brillante, donc grasse, c'est-à-dire obtenue au médium ? Ce point technique est la seule limitation du procédé de la technique mixte, mais il est absolu. C'est pourquoi je conseille de toujours passer, a priori, un vernis à retoucher lors de la reprise après séchage. Ainsi, on n'a pas à se poser la question de savoir si la partie sur laquelle on désire reprendre est maigre ou grasse. On attaque directement en gras, si bien qu'il devient possible, sans souci, de reprendre soit en gras, au médium, soit en maigre, à l'émulsion.

 

M.-B. A. : Je vais reprendre ce travail avec du Maroger plus concentré et faire un mélange n°4 : 1 volume de médium pour 1 volume d’essence.

 

C. V. : Assure-toi d’abord que ta couche craquelée est stabilisée. A ta place (c’est douloureux, je sais…), je rediluerais la couche craquelée, qui ne doit pas être encore sèche à cœur, avec un peu d’essence de pétrole, histoire de ne pas voir réapparaître les craquelures d’ici quelque temps. Bien entendu, tu vas abîmer cette zone et il va falloir la reprendre, ce qui n’est jamais facile. Mais, au moins, tu auras la certitude que ta peinture ne te trahira pas tôt ou tard.

 

M.-B. A. : Depuis, j’ai enlevé la partie craquelée en ponçant doucement. J’ai repeint, mais les craquelures réapparaissent. Je dois recommencer. Je ne comprends pas.

 

C. V. : Il faut aller quasiment jusqu'à redécouvrir ton imprimature. Je l'ai dit : c'est douloureux ! Mais, au moins, tu repars sur un dessous sûr. Un point encore : évite le ponçage. En effet, ta couche picturale contient un peu de  plomb. Poncer engendre l'apparition de fines particules qu'il n'est jamais très sain de respirer. La redilution avec un solvant doux est moins problématique.

 

 

Conclusion

 

 

M.-B. A. : Au terme de cette expérience, je me suis demandée s’il fallait autant diluer le Maroger. Il me semble que cette dilution devrait être fonction de ce que l’on souhaite faire.

 

C. V. : Tout à fait. Les dilutions que je propose sont le résultat de ma pratique personnelle, mais chacun est libre de les moduler à sa guise. En particulier, elles sont à adapter en fonction de l'enduit : plus importante sur un enduit maigre ; moins sur un enduit ayant reçu une imprimature grasse comme tu l'utilises ici. On peut même peindre au médium pur, non dilué. C’est entre autres intéressant sur un support gras, très imperméable.

 

M.-B. A. : Le mélange n°1 pourrait être réservé à une reprise au médium ou à l’émulsion sur des couches sèches.

 

C. V. : Exact. C’est sa destination : humidifier le fond, de manière à faciliter les modelés, et, justement, à éviter les craquelures de retrait, accident bien connu, vraisemblablement celui observé sur ton travail.

 

M.-B. A. : Le mélange n°2 devrait être limité et réservé à la réalisation de détails.

 

C. V. : Je ne m’en sers pas personnellement. Je le trouve trop liquide comme médium de travail.

 

M.-B. A. : Les mélanges n°3, et au-delà, devraient être réservés pour  la majeure partie de la peinture.

 

C. V. : Le médium n° 3 est un bon médium à peindre. Je le trouve, cependant, un peu gras pour les premières couches, mais c’est un bon compromis sur support semi-absorbant.

 

M.-B. A. : Les traces de pinceau apparaissent à partir du mélange n°3 et le travail de la matière ne commence qu’à ce moment-là. De ce fait, la matière obtenue est riche et profonde.

 

C. V. : Tout à fait d’accord.

 

M.-B. A. : L’émulsion est effectivement très adaptée pour la réalisation des transparences (création des objets en verre), mais aussi pour rendre les couleurs translucides. En outre, elle permet l’ajout de matière et permet de créer une surface qui accroche la lumière. Il ne faut peut-être pas en abuser pour des couches intermédiaires.

 

C. V. : Je m’en sers, personnellement, pour toutes les reprises en clair, soit sur le vernis à retoucher ou le médium frais, soit, occasionnellement, à sec, mais alors sur un fond déjà traité à l’émulsion, maigre sur maigre, par exemple en frottis. Elle permet aussi la pose d’empâtements très généreux, sans risque de craquelures… si l’on respecte la règle du « maigre sur gras dans le frais ».

 

M.-B. A. : Comme tu peux le voir, j’expérimente différentes possibilités.

 

C. V. : Expérimentation et analyse tout à fait intéressantes.

 

M.-B. A. : J’ai également repris une peinture commencée avec  l’ancien médium (huile + essence + Dammar), mais cela donnera lieu à un autre mail.

 

C. V. : Que j’attends avec impatience ! Merci à toi pour toutes ces explications. Je suis sûr qu'elles intéresseront nombre de peintres fréquentant ce site.

 

 

 

 CopyrightFrance.com

 


Date de création : 18/03/2015 - 11:19
Dernière modification : 04/05/2015 - 18:29
Catégorie : Témoignages
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Christian VIBERT

- Ancien étudiant à l'Ecole des Beaux-Arts de Versailles et de Paris (ENSBA)

- Copiste au Musée du Louvre

- Licence d'arts plastiques Panthéon-Sorbonne Paris I

- Licence de sciences de l'éducation Nanterre Paris X

- Artiste peintre

- Fabricant de médiums
(auto-entrepreneur)

- Enseignant

- Formations en techniques de peinture anciennes (Moyen Age au XIXème siècle), préparation des huiles et des vernis gras

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