Plusieurs peintres talentueux, utilisateurs des médiums et émulsions Atelier des Fontaines, et passionnés de technique, nous demandaient récemment quel produit choisir parmi l'éventail des propositions de l'Atelier des Fontaines, et s'il était possible de ralentir la prise des médiums et émulsions gélifiés et d'augmenter leur fluidité.
La réponse à la première partie de cette question est simple : le médium qui permet de retrouver la consistance la plus fluide sous le mouvement de la brosse est le Maroger. Préparé avec une huile non cuite à haute température, même s'il est bel et bien gélifié au repos, il retrouve une consistance bien fluide quand on le manipule.
La réponse à la seconde partie nécessite un plus long développement. Le caractère thixotrope de ces produits permet, en effet, de reprendre n'importe où, et ce, tout au long de la séance de peinture, sans rencontrer le côté gluant de certains mélanges d'huiles et de résines. Avec ceux-ci, dès que le diluant s'est évaporé, la résine prend et le produit tend à devenir collant, happant les poils de la brosse ou du pinceau. Tout peintre ayant touché de ce type de liquide à peindre comprendra ce dont nous voulons parler.
Au contraire, avec un médium thixotrope, même si la touche semble a priori prise, le mouvement de la brosse restitue au gel sa fluidité permettant de nouveau les modelés. Cependant, pour un peintre habitué à travailler quasiment à l'huile pure ou à l'huile uniquement diluée d'essence, procédé en usage pour la très grande majorité des peintres depuis l'Impressionnisme, travailler avec un médium thixotrope peut dérouter. En effet, ceux-ci étant à base d'huile cuite et comportant en sus une part importante de résine ou de cire donnent à la touche une onctuosité très particulière favorisant la maîtrise de la brosse. On parle de la ductilité de ces produits - capacité à être conduits, dirigés. La conséquence évidente de cette ductilité est que la touche perd une part de son glissant ; glissant que les Anciens considéraient justement comme un défaut, car la capacité de jouer avec finesse de la brosse allait diminuant. Mais, pour le peintre contemporain ayant construit sa facture sur cette sensation de glissant, et recherchant a priori la fluidité, comment adapter un médium thixotrope à cette utilisation ?
Le plus simple serait sans doute de revenir à l'usage d'un liquide à peindre uniquement huileux. Ce serait déjà oublier le bénéfice apporté par la présence de la résine ou de la cire qui contribuent toutes deux à la durabilité du film pictural, réduisant le phénomène de thermo-oxydation, inhérent aux peintures uniquement huileuses, qui verra tôt ou tard le film perdre sa cohérence. Les restaurateurs travaillant sur les Impressionnistes de la fin du XIXème siècle en savent quelque chose. Mais on perd par la même occasion le guidage du séchage en profondeur lié à l'huile cuite en présence d'oxydes métalliques qui permet d'éviter les embus et le phénomène de frisage de la couche picturale, accidents liés à un séchage uniquement superficiel.
Une autre solution consiste à modifier légèrement la composition de ces médiums en leur ajoutant une petite quantité d'un produit ralentissant la prise de la pâte. Trois possibilités s'offrent à nous :
- Soit par l'apport d'un diluant à évaporation lente. L'essence d'aspic est un choix intéressant, mais elle nécessite de travailler sur des dessous bien secs, car elle est très pénétrante et agressive, et peut donc provoquer la redilution d'une ébauche non sèche à cœur. Un pétrole à évaporation lente est un choix plus approprié. Neutre, il ne fera que ralentir la prise du médium. Ce produit peut être employé sans aucun problème avec un médium vénitien. Par contre, étant un mauvais solvant de la résine mastic, il ne peut être utilisé que parcimonieusement avec un médium flamand ou un médium Maroger. Une légère précipitation de la résine peut se produire si une quantité trop importante de pétrole a été introduite dans le médium. De peu de conséquence, à notre avis, il vaut mieux cependant l'éviter. Dix pourcent du diluant habituel - en général de l'essence de térébenthine - est une base de départ qui modifie déjà sensiblement la prise du médium. En fonction de l'effet obtenu, on pourra revenir en deçà ou aller légèrement au-delà.
- Soit en modifiant la composition du médium et de l'émulsion correspondante. Les suppléments que nous joignons aux modes d'emploi lors de l'achat des produits sous forme de flacons permettent précisément ces variations. La recette CV n°4, en particulier, offrira un moyen facile d'obtenir des produits à prise plus lente et globalement plus fluide, tout en conservant leur caractère thixotrope et leur excellente siccativité.
- Soit par l'apport direct d'un peu d'huile crue. Bien que notre préférence aille aux huiles cuites - moins jaunissantes et plus durables que les huiles crues - si l'on recherche la fluidité, c'est sur elles que doit porter le choix. Pour ce faire, quelques gouttes d'huile de lin peuvent être ajoutées par malaxage au médium en gel, ou dans le godet contenant le médium dilué. Mais, si l'on cherche un produit jaunissant le moins possible, il faudra donner la préférence à une huile de composition différente. Nous déconseillons l'huile d'œillette. Certes peu jaunissante, son séchage est extrêmement lent et le film final demeure mou, gommeux. Il est donc dommage d'ajouter à un médium de qualité un produit peu fiable. Dans la même catégorie, on peut préférer l'huile de carthame. Très utilisée dorénavant par les fabricants de produits Beaux-Arts, elle sèche tout aussi lentement et jaunit, elle aussi, fort peu. Cependant, la répartition des acides gras dans cette huile est meilleure, d'où un film final de qualité supérieure. Enfin, on peut s'intéresser à l'huile de noix. Bien équilibrée entre vitesse de siccativation et jaunissement, elle est certainement un choix excellent. Les huiles de noix de première pression à froid Atelier des Fontaines, démucilaginées de manière artisanale, naturelles ou légèrement siccativées, répondent parfaitement à cet usage.
Enfin, une quatrième solution peut être envisagée en réduisant la porosité du support. En effet, la plupart des peintres travaillent dorénavant sur un fond enduit à l'acrylique. Ce type de fond est plus ou moins absorbant, caractéristique globalement intéressante, mais qui contribue à une certaine rapidité de prise de la pâte picturale par absorption partielle du liant et du diluant. Réduire cette absorption est donc à envisager.
Il s'agit, alors, de préparer le support en passant au préalable sur l'enduit un jus d'huile diluée qu'on laissera sécher avant de se lancer dans l'ébauche. Pour ce faire, une huile de lin cuite en présence d'oxydes métalliques du type de celles produites par l'atelier des Fontaines est idéale. La version dite "à siccativité renforcée" est le produit parfait pour cet usage. Séchant vite et jaunissant peu, elle permettra de reprendre dès le lendemain. On peut retrouver par ce moyen une sensation très proche de celle qui consistait à travailler sur une toile enduite à la céruse broyée à l'huile, fond quasi imperméable s'il en était. Ce type de fond, qui avait ses adeptes, était, il n'y a pas encore si longtemps, très facile à acheter dans le commerce. En Europe, depuis le raidissement de la législation sur les produits à base de plomb, il est devenu quasi introuvable. Des succédanés existent, à base de blancs de titane et de zinc, dont la durabilité est, malheureusement, loin d'être garantie.
Christian VIBERT
Date de création :13/07/2014 - 16:59Dernière modification :28/01/2015 - 23:19