Questions courantes

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Cette remarque récurrente concernant la coloration des huiles cuites n'est pas nouvelle. De tout temps, en effet, à l'inverse des luthiers qui utilisent des huiles et vernis souvent très proches de ceux employés par les peintres, mais les apprécient fort colorés, nous, les peintres, souhaitons disposer de produits les plus pâles possible. Désir fort légitime. Ainsi, du fait de la pâleur du liant, les coloris que nous posons sur nos supports sont-ils aussi proches que possible des teintes fournies par nos pigments.

 

Mais, plus important que l'absence de coloration à la pose, la vraie question tient en la pérennité de cette pâleur : le liant va-t-il demeurer en l'état ou va-t-il évoluer en siccativant, en vieillissant ? Question essentielle car tout peintre un peu au courant de son métier n'ignore pas que toutes les huiles, même les plus pâles - citons, par exemple, les huiles d'œillette et de carthame - jauniront plus ou moins au séchage. Ce phénomène est intrinsèquement lié au processus de siccativation des huiles. Milieu plus ou moins liquide ou onctueux composé d'un ensemble varié de  triglycérides - agencement  de trois acides gras sur un radical de glycérine - non liés, le film d'huile va finalement évoluer en un réseau solide de linoxyne, c'est-à-dire d'acides gras liés entre eux suite à leur combinaison avec l'oxygène atmosphérique. Résultat qui caractérise précisément les huiles dites siccatives. Mais cette oxydation des acides gras s'accompagne inévitablement de la formation de composés chromophores, très généralement à dominante jaune.

 

Cependant, à la condition que les huiles en question aient été correctement démucilaginées (voir ici), ce jaunissement est largement minimisé par exposition à la lumière, en particulier aux UV, durant le processus de siccativation. D'où le conseil souvent rappelé de laisser sécher les peintures à l'huile à la lumière, surtout pas empilées ou tournées face à un mur. Pourtant, en particulier avec les teintes pâles, entre autres les blancs, et avec les teintes froides, surtout les bleus, ce jaunissement, même minime, peut être gênant. On recommande alors, bien souvent, pour le broyage de ces tons, l'utilisation d'huiles peu jaunissantes par elles-mêmes.

 

Qu'en est-il, alors, des huiles dites "noires" destinées essentiellement à la confection des médiums, mais aussi à l'enrichissement des huiles de broyage ? Composées selon les recettes traditionnelles, elles portent à juste titre leur nom. Malgré leur forte coloration, sont-elles utilisables sans crainte ?

 

On peut déjà aisément concevoir que, employées avec les teintes sombres ou naturellement chaudes, leur coloration foncée à dominante rouge-orangé ne soit guère problématique. Or il se trouve qu'un bon nombre de couleurs de ce type, à commencer par les noirs organiques, en particulier le noir dit "d'ivoire" - actuellement d'os -, mais aussi la plupart des jaunes, oranges et rouges eux-mêmes organiques - citons les azoïques - siccativent fort difficilement. Avec ces couleurs, la parfaite siccativation, et en profondeur, de ces huiles présente donc un intérêt majeur.

 

Cependant, sont-elles aussi utilisables avec les teintes claires et froides ? Il faut noter - nous venons de le rappeler - que ces huiles sont accessoirement utilisées afin de modifier les caractéristiques des liants de broyage, principalement leur onctuosité et leur vitesse de siccativation. Employées à cet usage, donc à doses réduites, et pourtant efficaces, leur coloration ne se fait en réalité guère sentir.

 

Il en est de même concernant l'utilisation de ces huiles comme composants des médiums auxquels elles sont essentiellement destinées. En effet, la plupart de ces médiums ont comme caractéristique commune d'augmenter la transparence des couleurs avec lesquelles on les mêle. Or, dans le respect des principes de la peinture depuis le XVème siècle jusqu'à la fin du XIXème, ces médiums ne sont employés généreusement que pour aider à exprimer la transparence des ombres. On retrouve donc l'innocuité de la coloration des huiles cuites relevée dans le paragraphe précédent, puisqu'elles ne sont utilisées, dans ce cas, qu'associées avec des teintes généralement sombres.

 

A l'inverse, parce qu'exprimer au mieux la lumière exige l'opacité, les médiums, et les huiles qui les composent, n'y seront introduits qu'en quantité faible, mêlés aux teintes pâles. Là encore, sur le plan de la coloration, leur présence se fera donc très discrète. Par contre, ils fournissent des éléments précieux pour la manipulation, la tenue et la conservation des couleurs : léger apport de résine et/ou de cire, et présence d'oxydes métalliques siccativants.

 

Il faut encore noter quelques points importants qui minimisent singulièrement l'impact coloré de ces huiles. Tout d'abord, du fait que, malgré leur apparente coloration, elles sont extrêmement transparentes suite à une décantation prolongée. Leur influence sur les couleurs opaques employées pour les lumières est donc très faible.

 

D'autre part, l'expérience peut en être faite à tout moment, exposées à la lumière, ces huiles étant devenues photosensibles éclaircissent de manière étonnante. Ainsi, deux mois d'exposition au soleil d'été dans un récipient de verre transparent permettent d'obtenir des huiles non plus noires, mais d'une coloration ambrée particulièrement esthétique. Posées en couche mince sur un support pictural, leur coloration disparaîtra d'autant plus vite.

 

Enfin, à titre de référence historique, je citerai Paillot de Montabert, peintre de la fin du XVIIIème siècle - début du XIXème. Dans son ouvrage : "Traité complet de la peinture, Paris, Bossange, 1829", il suggère l'idée qu'il vaut bien mieux travailler avec une huile dès l'abord colorée, mais qui tendra à s'éclaircir, que de partir avec une huile pâle qui ira sans cesse en jaunissant. Usant d'un liant parvenu à son état maximum de coloration du fait de son oxydation préalable, on peut être, en effet, certain que le résultat observé sur le tableau au moment où l'on pose une couleur ne pourra qu'évoluer dans le sens d'une plus grande luminosité. Ce que vous peignez présentement sera, au pire, ce que vos arrière-petits-enfants pourront voir. Dans les faits, ce ne pourra qu'être mieux... du moins si le choix de vos pigments a été effectué à la hauteur du choix de vos huiles cuites.

 

On peut donc considérer qu'employées dans les médiums ou comme appoint dans les huiles de broyage, au vu de leur apport sur les plans de la manipulation et de la siccativation, il serait dommage d'écarter ces huiles de notre palette au seul motif de leur coloration.

 

Quant à leur pérennité, la conservation des œuvres flamandes et hollandaises, jusqu'à la fin du XVIIème siècle, époque où elles étaient d'usage constant (voir Turquet de Mayerne : "Pictoria sculptoria & quae subalternarum artium", 1620), prouve à l'évidence qu'on peut entièrement leur faire confiance. Dans nos musées, en effet, ces œuvres sont bien souvent parmi les mieux conservées. A l'inverse, bien des œuvres de la fin du XVIIIème siècle et du XIXème (citons la peinture anglaise - Reynolds et certains Turner - mais aussi la peinture romantique française - Prud'hon, Géricault et nombre de Delacroix), ont, très tôt, demandé l'intervention des restaurateurs, voire des artistes eux-mêmes ! Les toiles modernes, mais aussi, parfois, contemporaines, n'échappent pas à ce constat. L'impressionnisme étant passé par là, on ne jure généralement plus que par l'emploi de liants aussi pâles que possible, mais qui ne communiquent qu'une résistance très relative à la peinture. A peine sorties des mains de leurs auteurs, certaines nécessitent, déjà, et de manière urgente, les soins attentifs de laboratoires spécialisés...

 

En manière de conclusion, un témoignage. Un jeune et talentueux peintre de ma connaissance, cherchant à préparer lui-même ses produits, me confiait, récemment, qu'il ne parvenait pas à obtenir une huile cuite suffisamment sombre. Contradiction apparente quand la plupart des artistes ne rêvent que de liants clairs comme de l'eau ! Il avait, en fait, parfaitement remarqué que plus une huile cuite en présence d'oxydes métalliques est colorée, plus elle est onctueuse et siccative. Loin d'être un défaut, cette coloration, fugace, témoigne de ses qualités !

 

Christian VIBERT

 

 

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Date de création :09/09/2015 - 07:02Dernière modification :30/06/2019 - 18:41Imprimer l'article  Hyperlien

 
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Christian VIBERT

- Ancien étudiant à l'Ecole des Beaux-Arts de Versailles et de Paris (ENSBA)

- Copiste au Musée du Louvre

- Licence d'arts plastiques Panthéon-Sorbonne Paris I

- Licence de sciences de l'éducation Nanterre Paris X

- Artiste peintre

- Fabricant de médiums
(auto-entrepreneur)

- Enseignant

- Formations en techniques de peinture anciennes (Moyen Age au XIXème siècle), préparation des huiles et des vernis gras

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