A la différence, par exemple, des arts lyrique ou chorégraphique qui mettent en jeu, pour l'essentiel, les capacités corporelles de l'artiste, l'art pictural est une activité éminemment matérielle. Basé sur l'utilisation de pâtes colorées, il est donc étroitement lié à la nature et à la qualité des pigments qui les composent, et aux liants et diluants qui permettent de les fixer et de les appliquer. Ces produits doivent permettre aux artistes d'exprimer le plus fidèlement possible la vision du monde qui les habite. Ils se doivent aussi de garantir la durabilité de leurs œuvres. Cependant, il est aussi essentiel qu'ils ne portent atteinte ni à l'environnement, ni à l'artiste qui les utilise.
Comme bon nombre de produits naturels et comme tous les produits chimiques, ceux employés par les artistes sont ainsi soumis à des lois et règlements qui protègent la santé des utilisateurs et l'environnement. Alors, qu'en est-il exactement ? Existe-t-il un danger réel à les utiliser ?
Durant l'Antiquité et le Moyen Age, certains pigments étaient hautement toxiques. L'orpiment, par exemple, pigment de couleur jaune, était fort dangereux du fait de sa teneur en arsenic. Le vert-de-gris, poison bien connu à base de cuivre, était fort apprécié pour sa transparence et sa coloration. Même plus récemment, jusque dans les années 1990, on utilisait encore le minium, pigment rouge-orangé à base de plomb.
De nos jours, dans la mesure du possible, on utilise pour la fabrication des peintures des produits ne présentant plus guère de danger pour la santé de l'utilisateur. Les terres, telles que les ocres, sont bien inoffensives. Pour les tons hautement saturés, les pigments toxiques utilisés autrefois ont été, pour la plupart, remplacés par des pigments synthétiques à base organique non dangereux. Cependant, certains pigments minéraux encore en usage contiennent des métaux lourds. La plupart ne sont pas particulièrement toxiques, car ils sont présents dans l'organisme en tant qu'oligo-éléments. Ainsi en est-il du manganèse, du zinc ou du cobalt. Seule une absorption massive pourrait présenter un réel danger. Mais qui se risquerait à consommer le contenu de ses tubes ? Par contre, il reste bien évidemment indispensable de ne pas les laisser à la portée des jeunes enfants et des animaux domestiques.
Les composés à base de plomb restent probablement parmi les seuls produits réellement toxiques encore employés pour un usage artistique, mais leur utilisation s'est beaucoup raréfiée. On peut d'ailleurs le regretter, car aucun produit n'a encore été découvert capable d'offrir les mêmes qualités de manipulation et les mêmes garanties de durabilité pour les techniques à l'huile. Ainsi, le blanc de plomb ou céruse (carbonate basique de plomb) reste probablement le seul pigment réellement toxique actuellement en usage. Les "blancs de plomb imitation", dorénavant sur le marché, à base d'oxydes de zinc et de titane, ne sont que de pâles succédanés qui n'offrent ni les mêmes effets, ni la même pérennité.
Il en est de même des oxydes de plomb, entre autres la litharge, utilisés autrefois pour la cuisson des huiles. Bien que toxiques en eux-mêmes, ils permettaient l'obtention de liants dont le remplacement par des huiles siccativées a posteriori par l'association de composés à base de cobalt et de zirconium n'offre pas, et de loin, les mêmes caractéristiques à l'emploi, ni la même durabilité.
Par contre, que les produits à base de plomb aient été récemment interdits d'emploi comme additifs dans les carburants, on ne peut que s'en féliciter. Ils contaminaient l'atmosphère des villes sans que personne ne puisse y échapper. De même, que leur emploi dans les peintures en bâtiment ait été proscrit, qui peut le regretter ? Les liants glycérophtaliques ou les alkydes les ont avantageusement remplacés.
Cependant, l'extension généralisée de cette interdiction, entre autres aux produits artistiques, semble totalement injustifiée. Ainsi, peut-on comparer les risques encourus par un artiste posant quelques touches de blanc de plomb sur une toile de format réduit, ou par le public circulant dans un musée ou une exposition où sont accrochées quelques toiles contenant des traces de pigments au plomb, protégées en sus par un vernis, avec ceux auxquels étaient exposés, autrefois, les peintres en bâtiment ponçant un mur badigeonné à la céruse avant sa réfection, ou encore à ceux d'un enfant frottant ses mains sur le même mur, puis les glissant dans sa bouche ? Il faut savoir remettre les risques en perspective, ce que les décideurs politiciens ont du mal à comprendre.
A savoir, aussi, que la persistance sur le marché des pigments à base de cadmium (jaunes, oranges et rouges) est, malheureusement, de plus en plus compromise. Une fois de plus, on sacrifie des pigments, dont l'intérêt en usage artistique s'était vérifié depuis plus d'un siècle, sans égard pour les dangers réels impliqués dans ce mode d'utilisation...
Important : précautions et règles d'hygiène
Concernant donc les quelques produits potentiellement encore toxiques employés en peinture artistique, en particulier ceux contenant du plomb, il est effectivement nécessaire de prendre quelques mesures de sécurité lors de leur utilisation. Dans les faits, des règles d'hygiène élémentaires permettent d'éviter tous risques :
- Ne pas boire, manger ou fumer durant l'utilisation des huiles, médiums, pigments et peintures en contenant, de manière à ne pas risquer de porter les produits à sa bouche.
- Eviter, de même, de se frotter les yeux.
- Bien que les savons de plomb résultant de la combinaison des composés de ce métal avec les huiles soient réputés ne pas franchir la barrière cutanée, par précaution supplémentaire, surtout du fait de l'utilisation conjointe de solvants et diluants (essences de térébenthine ou de pétrole) qui peuvent dessécher la peau par attaque du film lipidique cutané, on peut aussi porter, durant leur utilisation et le lavage des outils, des gants fins et souples en caoutchouc, en vinyle ou, mieux, en nitrile (gants fins de coloration bleue). Il existe aussi une crème protectrice qui permet d'ôter toute trace de couleur lors du rinçage à l'eau.
- Si l'on utilise des produits en poudre, porter un masque et, éventuellement, des lunettes durant la manipulation. Par contre, une fois amalgamés sous forme de pâtes, les produits à base de plomb ne présentent plus aucun danger. Ils ne dégagent aucune émanation gazeuse toxique durant leur utilisation ou leur siccativation.
- Bien évidemment, se laver soigneusement les mains après usage.
- Ne pas laisser ces produits à la portée des jeunes enfants ou des animaux domestiques.
Une précaution supplémentaire : porter une paire de gants souples |
Concernant les solvants et diluants, le problème est plus délicat, car ils peuvent être inhalés lors de leur utilisation. Ainsi, l'essence de térébenthine, obtenue par distillation de résineux, bien qu'étant un produit totalement naturel et renouvelable, peut provoquer des allergies, et des irritations de la peau et des voies respiratoires. Le white spirit, comme la plupart des essences de pétrole, est souvent considéré comme moins nocif, mais il ne dissout pas aussi bien certaines résines naturelles employées pour composer les médiums. En manipulant ces solvants, il faut donc veiller à bien aérer l'atelier et éviter d'en respirer intentionnellement les vapeurs.
A la condition de respecter ces quelques précautions, on peut donc considérer que la plupart des matériaux picturaux employés actuellement sont quasi exempts de danger.
Et qu'en est-il pour l'environnement ?
Il faut déjà considérer que, comparée à l'industrie, la quantité de matériaux utilisée par les artistes est totalement insignifiante. Doublé du fait de l'individualisme qui s'est imposé au fur et à mesure du développement de la notion d'artiste depuis déjà la fin du XVIIème siècle et qui règne dorénavant en maître sur ce milieu, le poids économique des artistes peintres est sans comparaison possible avec celui des industriels. C'est pourquoi, d'ailleurs, les artistes ont si peu de pouvoir pour influer sur les décisions politiques qui tendent cependant, de plus en plus, à réglementer leurs activités.
Dans les faits, ni les liants naturels, ni les liants synthétiques ne polluent les ordures ménagères. Il s'agit soit de gommes, huiles et résines naturelles, c'est-à-dire de matières premières renouvelables, soit de résines synthétiques telles que les vinyliques et acryliques. Ces produits peuvent aussi bien être brûlés que mis en décharge. Le mieux reste de les éliminer à l'état sec.
Quant aux huiles traditionnelles cuites au plomb, il faut bien considérer que les quantités d'oxydes mises en jeu sont extrêmement faibles, de l'ordre de quelques pourcents. Il est donc totalement incohérent de vouloir réglementer cette utilisation comme on le fait, par exemple, pour celle du plomb dans les batteries automobiles.
Cependant, par précaution, les pigments contenant des métaux lourds toxiques - en particulier le plomb et le cadmium - ne devant pas être disséminés sans nécessité dans l'environnement, le mieux est de rapporter en déchetterie les chiffons tachés et les flacons de solvants ayant servi au nettoyage des outils.
En manière de conclusion
Nous pouvons donc considérer que la plupart des matériaux employés actuellement pour la peinture artistique ne présentent aucun danger réel, ni pour l'utilisateur, ni pour l'environnement. Cependant, quelques pigments et liants contenant encore des métaux lourds et, surtout, les diluants et solvants organiques, demandent certaines précautions d'emploi. De simples règles d'hygiène permettent d'en éviter les risques potentiels.