Un blanc de plomb broyé à la main avec l'huile de noix Atelier des Fontaines |
Le blanc de plomb, encore appelé "blanc d'argent"
Pendant des siècles, le blanc de plomb a été le pigment le plus employé dans la peinture artistique, en particulier pour la technique de l'huile. Il y a de multiples raisons à cet état de fait. C'est un pigment très équilibré dans son rapport opacité/transparence. Il autorise donc tout autant la pose d'éclats de lumière opaques que le modelé de demi-pâtes ou de vélatures translucides. Il permet aussi de poser des empâtements extrêmement généreux sans craqueler ni friser car, d'une part, il donne tout à la fois de la dureté à la pâte tout en lui conservant une très bonne souplesse, même en vieillissant ; d'autre part, parce qu'il sèche facilement, particulièrement en profondeur. Ainsi, que cela soit dans les œuvres très anciennes ou dans celles plus récentes, par exemple du XIXème siècle, parfois déjà en très mauvais état, les zones peintes au blanc de plomb sont parmi les mieux conservées.
Par ailleurs, son comportement sous la brosse est unique : il possède une excellente ductilité, c'est-à-dire qu'il présente une consistance qui permet au peintre de le conduire aisément là où le désire. D'autre part, une touche de ce blanc, même posée de manière généreuse, ne creuse pas, ne laisse pas de rebords disgracieux, en relief - on parle de cernes. Ce blanc offre donc aussi la possibilité de superposer naturellement, sans aucun additif, plusieurs touches de couleur, dans le frais, sans mélange, de manière extrêmement facile. Ces qualités sont renforcées du fait, enfin, qu'il accepte aisément l'addition d'un peu d'eau ou de liant aqueux, d'où des caractéristiques étonnantes : capacité à donner des frottis remarquables, quasi aériens, à offrir des pâtes à l'aspect gaufré, typiques, par exemple, des éclats de lumière dans la peinture flamande ou hollandaise.
Malgré toutes ces qualités, il est cependant connu pour être un pigment difficile à broyer, en particulier à la main. Il demande, pour ce faire, une huile particulièrement fluide. Ainsi, malgré ses qualités, une huile épaissie à la chaleur sera extrêmement difficile à employer pour broyer ce pigment. Même broyé très serré, c'est-à-dire avec le minimum d'huile, il sera difficile à empâter, donnant des pâtes filantes ou ayant tendance à couler, à s'étaler.
La démucilagination tout en douceur appliquée par l'Atelier des Fontaines à l'huile de noix de première pression à froid permet de lui conserver un excellent rapport onctuosité/fluidité. Aussi, même le broyage du blanc de plomb ne pose-t-il pas de difficulté majeure avec une telle huile.
Un exemple : le broyage du blanc de plomb à l'huile de noix
Les illustrations qui suivent ont pour but de montrer quelques caractéristiques du blanc de plomb lorsqu'il a été broyé avec une huile adaptée. Nous l'avons donc empâté à l'huile de noix démucilaginée par nos soins, celle-la même que nous présentons ici. Pour l'exemple, nous n'y avons ajouté aucun médium, émulsion, ni diluant qui auraient pu en modifier la consistance et le comportement.
Un empâtement au blanc de plomb broyé à l'huile de noix |
Un exemple de frottis au blanc de plomb broyé à l'huile de noix |
Des effets de frottis quasi aériens |
Le blanc de plomb permet d'obtenir des frottis tout à fait étonnants. C'est quasiment le seul pigment à autoriser ce type d'effet avec une telle facilité. L'addition d'eau ou d'une émulsion aqueuse renforcerait encore cet effet.
Un équilibre entre opacité et translucidité |
Gradation de la clarté par une simple variation d'épaisseur de la touche |
On peut de même remarquer l'équilibre que le blanc de plomb manifeste entre opacité et translucidité. D'où la possibilité qu'il offre au peintre d'opérer des gradations très subtiles entre l'ombre et la lumière.
Un étalement facile des demi-pâtes |
Mais le blanc de plomb autorise bien entendu aussi une manière de peindre beaucoup plus classique, par demi-pâtes. Ici, sa relative opacité et sa parfaite ductilité permettent un étalement continu de la pâte.
Superpositions au blanc de plomb |
Autre qualité : sa facilité à se superposer sans que la pâte ne creuse, ni ne laisse de cernes. Rembrandt n'aurait pu obtenir sa matière si caractéristique sans le recours au blanc de plomb.
Un bon étalement de la pâte malgré des reprises multiples en épaisseur |
Dernière qualité du blanc de plomb broyé avec une huile équilibrée entre onctuosité et fluidité : brossée plusieurs fois sur elle-même, la pâte ne relève que fort peu en fin de touche, effet en général assez inesthétique, car il crée des reliefs souvent non voulus. Ce nivellement de la pâte malgré son épaisseur peut encore être amélioré par l'addition d'agents spécifiques que nous aurons l'occasion d'évoquer ultérieurement.
Le blanc de plomb : un pigment traditionnel irremplaçable
Pour nous, le blanc de plomb, présent depuis toujours dans la technique de l'huile, est donc un pigment irremplaçable. Depuis que la réglementation européenne, dans les années 2000, en a fait un produit quasi introuvable, on en a vu fleurir de pâles imitations au catalogue des fabricants de produits Beaux-Arts. Il s'agit, en fait, d'un mélange de blancs de zinc et de titane. Mais ces substituts ne peuvent tromper les peintres qui ont eu l'occasion de travailler au blanc de plomb véritable. Ils n'en ont ni la ductilité, ni la capacité à s'empâter aussi bien, ni la faculté de sécher en profondeur quelle que soit la générosité avec laquelle on ait pu le poser.
Cependant, il est clair que ce pigment, quand on le trouve encore, demande un liant de broyage très spécifique. L'huile de noix de première pression à froid, démucilaginée de manière traditionnelle, répond parfaitement, entre autres, à la préparation de ce pigment si intimement lié à la richesse technique des Anciens.