La technique à l'huile ou les techniques à l'huile ?
Portée à son apogée en Italie, au XVIème siècle, durant la Renaissance, avec des artistes tels Titien ou Tintoret, et, au XVIIème, à l’époque baroque, dans les Flandres, en Hollande et en Espagne avec Rubens, Van Dyck, Rembrandt ou Vélasquez, la technique de l’huile a connu de nombreuses modifications. Il faudrait plutôt parler des techniques picturales recourant de près ou de loin à l’usage de l’huile, plutôt que d’une technique unique.
Christian VIBERT Aeterna Rosa Crayon et craie sur papier teinté |
Autrefois, l’apprenti participait, depuis sa prime jeunesse, à l’activité d’un maître peintre et, ce faisant, recevait par la pratique même du métier une formation étalée sur de nombreuses années. Chaque maître avait ses recettes, ses tours de main qu’il communiquait à ses propres élèves. Les techniques vivaient, évoluaient, se modifiaient au gré des expérimentations et découvertes. Cependant, les recettes de base et leur mise en œuvre restaient proches, évoluant lentement au fil de découvertes souvent fortuites.
Déjà, en Italie, à la fin de la Renaissance, le peintre, délaissant son statut d’artisan faiseur d’images était devenu un artiste signant ses œuvres. A travers sa formule : « La pittura e cosa mentale », Léonard de Vinci, dans son Trattato della pittura, signifie bien que la peinture a quitté le domaine de l’artisanat, essentiellement manuel, et prétend à la sphère d’une activité intellectuelle. Raphaël, en peinture, et Michel-Ange, en sculpture, seront, ainsi, parmi les premiers à apposer leur nom sur leurs œuvres.
Dans les Flandres et en Hollande, cette mutation s’est réellement opérée durant le XVIIème siècle. Van Dyck et Snyders, tous deux élèves ou collaborateurs de Rubens, seront parmi les derniers détenteurs des techniques élaborées par les générations de peintres qui les auront précédés. Avec ces artistes disparaîtront les derniers grands ateliers.
Christian VIBERT Aeterna |
Les procédés à l’huile parvenus à leur plein épanouissement perdureront un peu plus longtemps en Italie. On en trouve encore un écho tardif dans les ouvrages techniques tel « De la peinture à l’huile » de Mérimée, paru en 1830 à Paris. En France, durant le Grand Siècle, sous Louis XIV, l’enseignement académique remplacera définitivement l’apprentissage.
A partir du XVIIIème, donc, les techniques à l’huile semblent se stabiliser. On parle maintenant de la technique de l’huile par différence, par exemple, avec celle de l’aquarelle, très en vogue au XIXème siècle chez les artistes britanniques. Désormais, on peint selon les préceptes de l’École. Les générations qui suivront s’enfermeront dans un métier devenu un ensemble de recettes compliquées, sans connaissance pratique approfondie de leurs possibilités ni de leurs effets et, plus grave, de leur durabilité. Combien d’œuvres du XIXème se sont ainsi enfumées, ont craquelé ? Les glacis (1) ont perdu leur transparence, les demi-pâtes (2) se sont fendillées…
Les Romantiques seront la première génération à en payer le prix, regrettant, comme Delacroix, le métier si simple et si beau d’un Vélasquez.
Les Impressionnistes, en réaction contre les injonctions de l’École, simplifieront le métier jusqu’à retourner à la technique à l’huile seule, diluée à l'essence, proche de celle relevée par le moine Théophile, au XIème - XIIème siècle, qui déclarait que celle-ci n’était bonne qu’à orner les objets quotidiens ou les statues, car les couleurs étaient trop lentes à sécher pour permettre la mise en couleur d’une image en plusieurs couches. Un artiste comme Degas, las de se confronter avec la technique de l’huile qui ne convient pas à ce qu’il en attend, ira jusqu’à la délaisser au profit du pastel.
Renaissance et nouvelle disparition des techniques à l’huile
Dans la première moitié du XXème siècle, avec Louis Anquetin et surtout Jacques Maroger, ancien directeur technique du laboratoire du Musée du Louvre, le métier renaît. Depuis les Etats-Unis, où il s’est exilé durant la seconde guerre mondiale, il poursuit son travail sur la mise au point de médiums gélifiés dans la tradition de ceux utilisés particulièrement par les maîtres italiens et flamands. On trouve, en effet, encore trace de tels produits dans de rares manuscrits :
« Pour faire l’huile siccative de Van Dyck, prenez une once et demie ou deux onces de blanc de plomb et une pinte d’huile de noix. Placez l’huile sur le feu dans un vaisseau de terre. Incorporez peu à peu le plomb dans l’huile en légère ébullition jusqu’à sa complète diffusion. L’huile est filtrée et clarifiée par décantation.
Pour faire le vernis-mastic de Van Dyck, prenez une livre de mastic soigneusement trié. Pulvérisez-le et mettez-le dans un vaisseau de terre avec deux livres de térébenthine rectifiée. Placez le tout sur un bain de sable, ou un autre chauffage qui ne fasse pas bouillir la térébenthine. Laissez-le en remuant continuellement jusqu’à ce que le mastic soit dissous. Retirez du feu. Laissez reposer jusqu’à ce que le tout soit froid. Le vernis est versé en séparant les quelques impuretés qu’il peut contenir.
Prenez une livre de ce vernis et une demi-pinte d’huile siccative. Agitez-les bien ensemble. Mettez-les dans une bouteille à bouillir sur le feu pendant un quart d’heure. Le mélange sera accompli. S’il grumèle lors de la cuisson, il doit être remis sur le feu afin que, refroidi, il ne soit plus granuleux, mais se présente comme une gelée claire. » (Eastlake, Matérials for a history of Oil Painting, Londres, 1847)
Christian VIBERT Le printemps Huile sur toile marouflée sur panneau |
Après la disparition de Maroger, Marc Havel, chimiste chez Lefranc et Bourgeois, poursuit ses recherches qui aboutissent finalement, dans les années 1950-55, à la renaissance des médiums gélifiés sous les appellations de « Médium flamand » et « Médium vénitien ». L’époque est à l’euphorie. Ces produits, disparus depuis des générations, sont de nouveau disponibles pour les peintres contemporains !
Christian VIBERT Le printemps (détail) Huile sur toile marouflée sur panneau |
Mais l’Europe se construit et, avec elle, la législation évolue, mettant l’accent sur de nouvelles normes sanitaires. Or, ces médiums gélifiés contiennent du plomb, métal lourd reconnu comme toxique. Dès les années 90, Lefranc commence à anticiper les évolutions qui s’annoncent. Les deux médiums originels, au plomb, sont toujours fabriqués, mais des succédanés apparaissent, dont les appellations, bien qu’identiques, sont suivies de la précision « sans plomb ».
Dans les années 2000, le couperet tombe : le plomb, métal présent depuis des siècles dans toutes les techniques abouties à l’huile, lui communiquant à la fois ses qualités de dureté et de souplesse, de siccativité (3) et de durabilité, est désormais devenu indésirable. Les médiums gélifiés au plomb, remis à l’honneur par Lefranc et Bourgeois, disparaissent de nouveau avec lui. Et, malgré les recherches de la maison Lefranc qui ne peut que s’adapter aux directives européennes, les ersatz de ces médiums, sans plomb, n’ont que peu à voir avec leurs aînés (voir le tableau comparatif des médiums gélifiés disponibles dans le commerce).
Les médiums gélifiés : un renouveau prometteur
Aux USA, la question se pose différemment. Maroger a laissé des élèves qui poursuivent ses recherches. De petits groupes d’artistes se constituent qui produisent des médiums gélifiés à leur usage personnel. Par ailleurs, encore aujourd’hui, la législation est plus souple. Le plomb reste autorisé pour un usage artistique. Avec l’apparition des sites Internet, ces artistes commencent à proposer leurs produits à la vente par correspondance. Mais, à l’importation, que de frais de transport pour un simple tube de médium ! Et quand on songe que ces produits ont été remis à disposition des peintres en tout premier lieu en France, et par le travail de recherche de Français, que de regrets ! Depuis quelques années, cependant, des revues spécialisées apparaissent invitant les peintres désireux de retrouver les qualités des véritables médiums gélifiés à les recomposer eux-mêmes, dans le silence de leur atelier.
Ainsi, nés à une époque où la peinture était un artisanat bien plus qu’un art, après une période d’éclipse de plusieurs siècles qui a laissé le souvenir d’une « Clé perdue », selon l’expression d’Eugène Fromentin, peintre du XIXème siècle (Les Maîtres d’autrefois, Floury, 1941), les médiums gélifiés auront connu une courte renaissance associée à une production industrielle. Actuellement, mis à l’index par une législation qui peine à différencier la peinture en bâtiment d’une utilisation artistique, les médiums gélifiés retournent à leurs origines artisanales.
Déçu moi-même par la nouvelle version des médiums flamand et vénitien de Lefranc, je me suis donc attelé personnellement, dès 2004, à travailler à la recomposition de médiums gélifiés authentiques. En contact avec un petit cercle d’amis artistes et restaurateurs de tableaux, dont François Perego, que je remercie encore ici pour ses conseils précis et éclairés, j’ai cherché à me procurer les matières premières nécessaires à leur recomposition. J’ai expérimenté la manière de produire de nouveau les huiles et les vernis originaux, m’attachant encore à parfaire leur durabilité, leur transparence, la légèreté de leur coloration et leur stabilité au stockage. Au fur et à mesure de mes essais, j’ai pu longuement tester leur facilité de mise en œuvre dans ma pratique artistique quotidienne.
Désormais, j’apprécie tous les jours d’avoir retrouvé l’usage de produits authentiques et d’en maîtriser la composition et la provenance. Je sais de quoi est faite ma peinture et je sais ce que je peux en attendre !
Christian VIBERT Danseuse relaçant son chausson Huile sur toile marouflée sur panneau |
Deux médiums à la disposition des professionnels, des connaisseurs et des amateurs avertis
Ainsi, que tu peignes de manière professionnelle ou en amateur averti, parmi la panoplie surabondante et un peu hétéroclite de médiums pour la peinture à l'huile actuellement disponibles dans le commerce, je mets maintenant à ta disposition deux familles de produits testés par des générations de peintres, deux séries de médiums tout simplement authentiques, de très haute qualité : les médiums gras gélifiés à la manière flamande et les émulsions gélifiées correspondantes.
Pourquoi cette mise sur le marché ? Parce que j'ai pu moi-même expérimenter la difficulté qu'il y a à réunir les matériaux nécessaires à leur recomposition, et que je n'ignore pas le savoir-faire et le temps nécessaire à leur obtention. Par ailleurs, on peut parfaitement comprendre que tout peintre n'ait pas le temps, ni le désir de se lancer lui-même dans la cuisson des huiles et des vernis. Après tout, il peut sembler évident que peindre soit la motivation essentielle d'un peintre ! En conséquence, produire des matériaux picturaux relèverait plus de l'activité d'un fabricant de peinture. Cette conception, relativement moderne, aurait sidéré un peintre à la Renaissance ou au XVIIème siècle, mais elle est devenue majoritaire depuis la seconde moitié du XIXème, et plus encore depuis le XXème siècle. En particulier depuis l'invention de la peinture en tubes, dans les années 1840, l'industrie nous a ainsi habitués à trouver toutes prêtes nos couleurs favorites.
Maintenant, surtout si tu peins essentiellement par plaisir, que les performances que ces médiums autorisent ne t’intimident pas ! Leur potentiel est élevé, mais sache que nulle technicité compliquée n’est nécessaire à leur mise en œuvre. Ils possèdent au contraire la simplicité d'utilisation qui avait motivé leur choix par les Maîtres d’autrefois. Quelques conseils simples suffisent largement pour débuter. Retrouve-les dans les pages consacrées à la description des médiums gras et des émulsions qui leur sont associées. Ensuite, la magie opère au bout de la brosse ! L’usage de ces médiums est si polyvalent que tout peintre peut y trouver un mode personnel d’expression. La liberté reste la seule règle : le peintre décide ; le matériau obéit !