"Bonjour Christian,
Je me permets de vous transmettre une question qui m’a été posée pour faire appel à vos connaissances : "Quelles sont les sources documentaires sur lesquelles vous vous appuyez pour reconstituer les matériaux et la technique de Rubens ? À part des sources déjà anciennes comme Maroger, les comptes-rendus que j'ai lus semblaient plutôt exclure la présence de résine mastic dans le liant."
Qu’en pensez-vous ?
L’ensemble de mes recherches, moins abouties que les vôtres, semblent bien indiquer la présence de résine mastic dès Van Eyck. Comment comprenez-vous son commentaire ? Je vais bien sûr lui répondre, et lui demander quels comptes-rendus semblent exclure la présence de résine mastic dans le liant, cela m’intéresse beaucoup."
Moi de même. J’attends donc le résultat de l'échange avec votre correspondant.
"Votre avis également sur la question !"
Il faut déjà admettre qu’il peut exister un écart très sensible entre analyses physiques et chimiques, et recherches expérimentales ; entre scientifiques et praticiens. Aussi, même si des scientifiques ne trouvaient pas trace de résine (et la ou lesquelles cherchent-ils ?) dans un film pictural flamand ou néerlandais du XVIIème siècle, cela ne prouverait pas nécessairement qu'il n'y en a pas eu. Premièrement, parce qu'après plusieurs siècles, on peut bien admettre que la combinaison intime d'une huile et d'une résine ne permette que fort difficilement de séparer ces deux composants qui montrent beaucoup d’affinités l’un pour l’autre. Deuxièmement, parce tout praticien copiste expérimenté, et vous l'êtes, a pu vérifier qu'il est impossible de reproduire la matière des Baroques sans user d'un produit gélifié.
En effet, affirmons-le d'emblée, l'huile seule, même cuite, et même en présence d'oxydes métalliques siccativants, dont tous les comptes-rendus scientifiques attestent la présence, en particulier ceux publiés par la National Gallery, ne peut constituer un médium à part entière. Et surtout pas sous la brosse des peintres qui nous occupent. La présence d'un produit épaississant est indispensable pour expliquer les empâtements onctueux, et pourtant transparents, que l'on peut parfaitement observer dans leurs œuvres.
Excluons aussi tous les épaississants modernes dont usent un certain nombre de marques. Bien évidemment, ils étaient inconnus au XVIIème siècle. Alors, seule la résine mastic, déjà connue par les Egyptiens depuis 3000 ans avant J. C., permet d'obtenir cette consistance gélifiée. Aucune autre résine naturelle ne le permet.
François Perego, pages 467 et 468 de son "Dictionnaire des matériaux du peintre" indique, par ailleurs, que "Avant la résine dammar, le mastic était, avec la sandaraque, "la" résine par excellence pour les vernis et les médiums, en particulier les vernis maigres. Son histoire est donc parallèle à celles des vernis, et très nombreuses sont [...] les recettes médiévales qui le mentionnent (tempera, vernis, médium, etc). [...] C'est un des éléments clés des médiums du type Meguilp, et sur lequel certains auteurs font reposer une bonne part du graphisme de P. P. Rubens, A. Van Dyck, J. Jordaens, etc."
Les mêmes analyses, mentionnées plus haut, prouvent aussi la présence de résine dans la pâte des peintres du XVIIème siècle. Par contre, il est mis en évidence que cette présence est généralement minime.
Ceci justifie le fait que, personnellement, je n'hésite pas à moduler très largement les proportions d'huile cuite et de vernis mastic dans les recettes que je propose, à la différence, par exemple, aussi bien de Mérimée que de Maroger ou de Yvel. Et, si je conseille d'user de la résine mastic parce qu'elle est indispensable à la gélification, il ne s'agit surtout pas d'en abuser. Comme la résine dammar, le mastic est une résine tendre. En user trop généreusement peut, en effet, conduire à fragiliser le film pictural. Voir les dosages que je propose dans les modes d'emploi des produits commercialisés par l'Atelier des Fontaines.
Notez aussi que, les huiles cuites au plomb et la résine mastic étant bien connues des peintres depuis fort longtemps, il est difficile d'imaginer qu'ils n'aient pas, même accidentellement, mêlé ces deux produits, constaté l'étrange phénomène de gélification qui en est la conséquence, et expérimenté les remarquables facilités d'exécution qui en résultent, tout autant que les qualités optiques du film pictural obtenu.
Enfin, pour plus d'information, puisque vous possédez mon ouvrage sur les techniques à l'huile, voyez en particulier les pages 217 à 223.
Bien cordialement,
Christian VIBERT
Rebonjour à vous,
"J’ai reçu de mon correspondant quelques références d’ouvrages sur la technique de Rubens que j’ai commandé, dont celui-ci qui m’intéresse particulièrement, le connaissez-vous ?
Rubens Unveiled
Notes on the Master’s Painting Technique
Nico Van Hout
Arnout Balis
LUDION
Parution 2012"
Non, je ne le connais pas. Vous me direz ce que vous en pensez après lecture.
"Dans sa réponse il mentionne aussi le bulletin n° 24 de l’Institut Royal du Patrimoine Artistique de 1992 et le volume 20 des bulletins de la National Gallery de Londres, que je consulte de temps en temps. Il faudrait que je fasse une recherche plus ciblée sur la technique de Rubens, qui apparaît dans certains bulletins."
Je vous remercie pour ces références. A l’occasion, j’irai voir ce qui en est dit.
Ceci étant, au-delà de toutes les recherches scientifiques qui ont, certes, leur utilité, à mon sens, la mise en œuvre concrète constitue, en dernier ressort, le juge suprême. Si Delacroix a constaté, à son grand désespoir, être incapable de copier Rubens malgré ses efforts et sa passion pour le maître d'Anvers - et pourtant, il y a eu plus mauvais peintre que lui ! -, c’est bien qu’il ne disposait pas des matériaux adéquats. Depuis, à partir des années 1955-1960, la renaissance des médiums a permis d’avancer considérablement. Tout en sachant que disposer d’un produit, même ultra-performant, ne suffit pas, j’estime, pour ma part, qu’un excellent peintre est capable, actuellement, de copier sans grande difficulté un Rubens. Car ne fait pas du Rubens, du Vélasquez ou du Rembrandt qui le veut… L’obstacle présent est celui de la formation. Les écoles d’art sont à mille lieues d’offrir les mêmes conditions d’apprentissage qui étaient celles de ces peintres à la fin du XVIIème siècle.
Quant à créer une œuvre de même qualité, n'y songeons pas ! Quel peintre le pourrait actuellement ? Si tous les arts : musique, danse, théâtre, littérature ont su conserver et transmettre leurs traditions, et, à partir d'elles, s'enrichir, se renouveler, la peinture, elle, n'a cessé de s'appauvrir... Dès le XVIIIème siècle et, surtout, durant le XIXème, nombre de peintres ont tiré la sonnette d'alarme. Heureusement qu'un renouveau, loin d'un certain "art contemporain", semble se dessiner depuis quelques années !
"Je vais remercier mon correspondant pour ce partage et commencer un dossier sur ce sujet qui m’intrigue beaucoup ! N’avez-vous pas envie de rejoindre notre discussion sur LinkedIn ?"
Très objectivement, je ne communique quasiment pas sur les réseaux sociaux. La proportion de commentaires intéressants est tellement faible au regard du fort médiocre, voire du n’importe quoi… J’ai déjà de quoi bien remplir mes journées avec mes activités présentes. Mais, si vous glanez des informations pertinentes, n’hésitez pas à m’en faire part. Je vous en remercie.
Bien cordialement,
Christian VIBERT