Une nouvelle question vient de me parvenir sur ma boîte mail :
"Je m'adresse à vous avec une nouvelle question à laquelle vous avez fait d'ailleurs allusion: elle concerne l'emploi de la litharge; je l'ajoute à hauteur de 5% environ (au "pifomètre") à mes huiles de noix préalablement raffinées; l'ajout se fait à froid, aucune cuisson n'entre en ligne de compte; l'huile est utilisée pour le broyage des couleurs et, ainsi traitée, m'a donnée jusque-là entière satisfaction.
Or, la dernière huile a "tourné à l'orange" depuis l'ajout de la litharge; je l'ai quand même utilisée pour broyer un ocre rouge naturel pour constater une drôle de facture: la peinture est restée toujours liquide, impossible de trouver une consistance ferme. Très ennuyeux car j'ai peur de devoir jeter le flacon entier.
Du coup, je m'interroge sur l'emploi de la litharge: quel est son intérêt s'il y a un risque de dénaturer les qualités intrinsèques de l'huile ? D'abord, j'utilise le blanc d'argent (le vôtre) systématiquement dans ma peinture et, ensuite, ne pourrais-je tout simplement remplacer la litharge par votre siccatif Zirconium-calcium pour éviter de tels dégâts ?
D'ailleurs, je continue à tester votre épaississeur qui donne de bons résultats à l'exception du bleu d'outremer qui reste réfractaire. Votre médium au copal fonctionne à merveille."
La litharge (oxyde de plomb PbO) est un siccatif de profondeur ; à la différence, par exemple, d'un siccatif au cobalt, très puissant, mais qui ne siccative l'huile qu'en surface. Ce dernier siccatif, employé imprudemment, génère des pâtes du type "chausson aux pommes", dures en surface , mais qui demeurent molles en profondeur ; d'où des risques de frisage, embus et, à terme, craquelures. Avec la litharge, et plus généralement les composés au plomb, même les pâtes les plus épaisses finissent par siccativer et durcir dans la masse. C'est une des raisons qui explique l'exceptionnelle conservation, par exemple des blancs d'argent (carbonate de plomb) dans les peintures anciennes, là où d'autres pâtes pigmentaires ont pu, parfois, mal vieillir.
Ceci étant, et je vous l'ai déjà signalé, je suis très réservé sur les huiles traitées à la litharge, à froid. Elles deviennent certes plus siccatives du fait de l'action de saponification de la litharge sur l'huile, mais :
- d'une part, on ne maîtrise pas le degré de saponification de l'huile. Or une huile trop saponifiée s'apparente plus à un siccatif qu'à un liant ;
- d'autre part, n'étant pas cuites, elles demeurent aussi fragiles qu'une huile crue.
Personnellement, je préfère broyer les pigments avec une huile crue bien démucilaginée, mais non siccativée, sauf pour quelques pigments naturellement anti-siccatifs. Les pâtes se conservent ainsi plus facilement en pot ou en tube. Les industriels le savent bien qui préfèrent justement broyer leurs couleurs avec des huiles peu siccatives, de manière à pouvoir commercialiser leurs produits quasi indéfiniment. Et, seulement au moment de l'emploi, sur la palette, j'y ajoute un médium ou une émulsion qui, eux, en sus d'une franche siccativité, apportent aux pâtes la richesse, l'onctuosité et la résistance de l'huile cuite, associées aux caractéristiques propres d'une résine et/ou d'une cire.
Comme je l'explique sur cette page, je considère "qu'une huile de broyage est un produit "tout venant", un liant de base, neutre par définition, qui doit permettre de préparer des pâtes de manière quasi uniforme, l'idéal étant que, quels que soient les pigments broyés, ils aient tous la même vitesse de siccativation, de manière à éviter tous les problèmes classiques de la peinture à l'huile : frisure, embus, craquelures... La différenciation entre les pâtes vient, au cours de l'exécution, ou d'une œuvre à une autre, de l'addition d'un médium, variable par la nature du produit et par les quantités introduites dans la pâte picturale elle-même." Cette méthode me semble à la fois plus simple, et plus pratique en ce qu'elle ne demande pas de broyer les mêmes pigments avec des liants à chaque fois spécifiques. Au liant, l'homogénéité des pâtes ; au médium, leur différenciation.
Concernant la cause du virage à l'orange de votre huile de noix, je n'ai pas d'explication a priori. Je sais par contre d'expérience que même une huile d'œillette, pourtant réputée non jaunissante, peut prendre une teinte très soutenue en présence de composés au plomb. Votre huile de noix, peut-être de provenance différente de celle que vous employez d'habitude, semble réagir de la même manière.
Quant à la consistance de votre pâte d'ocre rouge, essayez d'y ajouter quelques gouttes d'épaississant. Rebroyez-la et tenez-moi au courant.
Concernant l'utilisation du siccatif pluri-métallique zirconium - calcium, si vous tenez à siccativer sans risque votre huile de broyage, alors, effectivement, cela peut être un bon choix. Le zirconium est bien un siccatif de profondeur. De plus, il est quasi incolore. En tant que co-siccatif, le calcium, tout aussi pâle, contribue à l'activer efficacement et, en sus, il facilite le broyage des pigments par son effet mouillant.
Pour revenir sur l'épaississant, vous me signaliez, il y a quelque temps, qu'il vous donnait entière satisfaction, y compris pour le broyage de l'outremer. Vous avez changé d'avis à son sujet ? Me concernant, j'ai encore broyé ce pigment récemment, durant les stages d'été : l'épaississant fonctionne parfaitement. Les stagiaires étaient même étonnés, s'exclamant : "La pâte est même plus ferme que celles que nous avons broyées". En l'occurrence, il s'agissait d' ocres jaune et rouge, pigments autrement faciles à préparer.
Cordialement,
Christian VIBERT