Bonjour à vous,
"Pourriez-vous m’en dire un peu plus sur les qualités et usages de ce fameux « médium laque flamand » ? Je sais qu’il est délicat à préparer ! Je suis très curieux !"
C’est un médium très particulier, à la fois extrêmement tirant et qui, pourtant, donne des effets laqués. Je ne le commercialise pas car il demande un temps de préparation considérable. Je ne le prépare que pour moi-même et les quelques personnes qui souhaitent quand même l’essayer. Mais son emploi n’est pas simple. Il faut éventuellement le diluer abondamment si l’on veut pouvoir l’employer aisément.
"Quand je prépare le vernis/jus à retoucher, puis-je, par exemple le faire à base d’un flamand ( n’importe lequel, disons l’onctueux ) et m’en servir avec n’importe quelle autre version ou dois-je faire un vernis spécifique pour chaque flamand ? Je pense que non, le but étant seulement de recommencer dans le frais, sur une couche grasse."
Sur le plan technique strict, tous les médiums flamands sont parfaitement compatibles puisque leurs constituants de base sont les mêmes. Maintenant leur spécificité se manifeste quand même plus ou moins, même en tant que vernis à retoucher, selon leurs caractéristiques propres, plus ou moins fluides, onctueuses ou tirantes. Éviter quand même la version à siccativité renforcée sur un dessous autre. Son séchage, très rapide, peut plus ou moins bloquer la siccativité d’une couche précédente, moins siccative et encore fraîche en profondeur.
"Puis-je diluer le vernis avec l’essence d’agrume plutôt que de la Térébenthine rectifiée ? ça pue beaucoup moins !
Je bosse avec la marque Zest-it, j’en suis assez content. Si je vous demande ça, c’est parce que j’ai remarqué que je pouvais dissoudre sans problèmes de la gomme dammar avec, mais que cela n’avait absolument aucun effet avec le mastic !"
Personnellement, j’apprécie l’odeur de l’essence de térébenthine, mais je n’ignore pas que certains y sont allergiques.
Je n’utilise pas moi-même l’essence d’agrume, mais des utilisateurs des produits Atelier des Fontaines m’ont assuré n’avoir aucun problème à diluer ces médiums à la résine mastic avec ce diluant. Seule différence notable : une durée d’évaporation plus lente, ce qui n’est pas nécessairement négatif.
"Est-il vrai ( si j’ai bien tout lu le forum et les questions/réponses et le reste aussi ) que le vernis à la résine mastic en flacon ne se conserve qu’environ un an ? ( je pourrais les mettre en tube mais j’adore préparer et ajuster les mélanges avant de commencer un projet )."
Comme tous les vernis à l’essence de térébenthine, il faut les conserver en l’absence de lumière (d’où les flacons ambrés dans lesquels je les commercialise) et en flacons relativement pleins de manière à éviter leur oxydation. Sous cette condition, leur conservation peut largement dépasser cette durée.
"Perso ( et je pense que vous ne me contredirez pas ) je suis un fervent défenseur de la règle des 2 semaines minimum de De Langlais ( Qui ça ? De Langlais ? Oh non, pas lui ! Il va encore nous brouter avec son baume de Venise !)."
Superbe matériau, très distingué, mais à utiliser en quantité très modérée, et ce, d’autant plus qu’il demeure efficace même en quantité réduite.
"Comment se comporter avec les flamands ? Vous mettez leur temps de siccativité respectives ( temps pour devenir résistant à la poussière ? ) dans le descriptif des produits mais : two weeks or not two weeks ?"
C'est un délai de siccativation suffisant pour que ces médiums soient non seulement hors poussière, mais capables de supporter une reprise si elle est effectuée avec délicatesse.
"Même avec le Roberson ? Telle est la question ! Et peut-on vraiment reprendre le lendemain sans risques avec le siccativité renforcé ? Bien dilué évidemment, selon les conditions météo, l’épaisseur, les pigments employés, la nature de la sous couche, etc... En général j’y vais au feeling, ce qui me réussit plutôt bien, mais comme ce sont de nouveaux produits et que j’ai la chance de pouvoir parler à son maître-concepteur :) !
Juste pour être bien précis, quand on dit « bosser dans le demi-frais », c’est quand la couche est collante et quasi-fixe mais que l’on sent qu’avec un diluant ça peut repartir ?"
Tant que la peinture part au toucher, elle est dite « fraîche ». Le travail peut être poursuivi sans problème. Les superpositions sans mélange sont possibles, mais avec un médium thixotrope et à la condition de travailler avec légèreté. C'est encore beaucoup plus facile avec une émulsion en technique mixte.
Quand la couche picturale happe légèrement le doigt, mais sans tacher, elle est dite « amoureuse » (joli terme, n’est-ce pas !). Cela correspond à un état où la peinture est prise sans être sèche. Cet état arrive relativement rapidement avec un médium oléorésineux et très vite avec un médium thixotrope. Les superpositions au médium deviennent encore plus aisées si l’on opère sans trop de diluant, ou alors en un seul geste. Les reprises à l’émulsion deviennent incroyablement aisées.
Mais si cette sensation se précise et devient forte, la siccativation est avancée en surface, mais pas en profondeur. Mieux vaut s’abstenir, sauf en reprise à l’émulsion (et oui, je ne le répèterai jamais assez : les peintres qui ne connaissent pas le travail à l’émulsion ne savent pas ce qu’ils perdent !). À l’huile ou avec un médium seul, c’est l’état type qui risque de créer des embus.
À un stade ultérieur, quand on glisse le doigt sur la surface peinte, surtout si l’endroit considéré a été couvert par un glacis résineux, on ressent un certain tirant, mais sans collant. Dans cet état, les reprises sont possibles. On peut passer un vernis à retoucher, mais toujours avec une certaine délicatesse.
Enfin, quand plus aucun tirant ne se manifeste, toute reprise est possible sans problème.
"Là j’ai vraiment besoin des conseils d’un expert pour ne pas me planter !"
En l’absence de médiums comportant des oxydes métalliques ou de couleurs naturellement très siccatives (blanc de plomb, terre d’ombre…), les conseils de Xavier de Langlais sont tout à fait pertinents. D’où mon conseil, dans les modes d’emploi, de travailler plusieurs œuvres en parallèle.
Avec un médium flamand ou vénitien, un délai d’une semaine est généralement suffisant pour pouvoir superposer couche sur couche sans grand risque. Maintenant, si l’on est pressé par le temps (ou la pulsion créatrice !), ce délai peut être écourté, mais il faut toujours reprendre avec douceur : trois ou quatre jours sont, à mon avis, un minimum. Deux ou trois jours avec un médium Roberson. Parfois une nuit avec un médium flamand à siccativité renforcée, mais je préfère quand même patienter une journée (c’est ce que nous faisons en stage). Et, bien entendu, il faut tenir compte des conditions autres : nature des pigments utilisés, épaisseur de la pâte, luminosité…
"Et qu’en est-il du « gras sur maigre » ?"
Pour être bref : en technique mixte, cette règle n’a plus vraiment cours puisque vous superposez « maigre sur gras » dans le frais.
"Je m’explique :
Je fais une séance avec médium et émulsion , je laisse deux semaines ou plus pour être sûr que cela soit bien sec, je met une couche du « jus » et après, est ce que les médiums doivent être plus gras qu’en dessous ou puis-je me servir du même ?"
Vous reprenez exactement comme vous avez commencé : même médium et dilué de même ; même émulsion. Mais vous pouvez aussi, au fur et à mesure, travailler avec un médium moins dilué, si cela répond au besoin du moment.
"Ou pire, rajouter une pointe de solvant pour le liquéfier si besoin est pour les détails (plus maigre donc )."
Oui, si nécessaire.
"( sinon de l’huile, donc plus gras ) ?"
Oui, si vous craignez de rediluer le dessous. Mais le mieux, si cela commence à « patiner », si le dessous décroche, est d’augmenter la part pigmentaire, d’épaissir, donc.
Dans la pratique, avec ces médiums et en technique mixte médium-émulsion, cessez de vous casser la tête. La seule règle incontournable est celle énoncée plus haut, quitte à faire hurler les tenants inconditionnels du « gras sur maigre » : on superpose « maigre sur gras », mais dans le frais.
"Est-ce que le fait que ce soit un gel thixotropique produit un genre de barrière qui évite que les couches successives s’absorbent l’une l’autre une fois sèche ( le rêve ! ) et donc donne plus de liberté ?"
Tout à fait. C’est encore l’un des avantages de ces médiums.
"Quand au choix du support, je suis totalement d’accord avec vous, toile marouflée sur du contreplaqué extérieur paraît le plus stable dans le temps, mais voilà, j’ai un problème :
Je fais très souvent des grandes tailles, du genre un 100X160cm et plus. Avant, quand je bossais en acrylique, vu que c’est du plastique souple, pas de problème de craquements. Je faisais quand même gaffe au support et ma préférence va sans conteste à la toile de lin ( Belgium grain moyen ) sur châssis en aluminium. Trèsmoderne avec possibilité d’avoir des bords profonds ce qui évite un encadrement si on veut .Je connais un pro qui me les fait tip top sur mesure. C’est très bien tendu, l’alu est très stable et c’est beaucoup moins lourd que le châssis en bois pour les grandes tailles."
Superbe ! Je ne fais pas aussi bien !
"Mais avec une toile marouflée sur panneau, ça va peser une tonne ! Sans compter l’encadrement !
Que préconisez-vous ?"
Le contreplaqué extérieur mince collé sur quelques tasseaux ou sur un châssis vierge monté à l’envers. Le tout marouflé de toile.
"Et directement sur bois contreplaqué, sans toile marouflée ? L’english y dit que c’est pas bien non plus ! Et vous ?"
Quel auteur anglais ?
Une grande partie de la peinture flamande et hollandaise est peinte directement sur panneau. Et elle est dans un état de conservation superbe !
Si vous appréciez un support très lisse, pas de problème. Par contre, il va falloir enduire sérieusement pour éviter la réapparition des fibres du bois. Sinon, je conseille le papier marouflé sur panneau.
"Je suis bien conscient que sur toile tendue, obligatoirement un jour, ça va croustiller, mais si je ne veux pas m’en passer pour les grandes tailles, que faire ? ( Voilà une question bien con puisque on vient de dire que c’était pas bien ! ) Peindre en couche fine serait moins risqué mais limitera mes expressions. J’ai entendu que le médium vénitien était plus adapté aux grandes œuvres car plus souple grâce à la cire. Un savant mix vénitien/flamand serait peut-être un bon compromis afin de ne pas trop perdre de transparence et rester relativement souple ( mais alors, adieu la thixotropie ? )."
Tout à fait. En privilégiant le flamand sur le vénitien. Je donne des conseils à ce sujet dans les modes d’emploi du vénitien.
"N’y a-t-il vraiment aucune œuvre sur toile tendue qui ne s’est pas transformée en puzzle ?"
Tôt ou tard dans la plupart des cas, malheureusement. Tard sur le lin ; très tôt sur le coton.
"Je me fais l’avocat du diable : n’y a-t-il pas eu aussi pendant la deuxième guerre mondiale, avec cette histoire des nazis qui volaient toutes les œuvres d’arts et les ont planqués dans des vieilles mines désaffectées à la va vite pour empêcher les ricains et les russes de les voler à leurs tour, beaucoup de dégradations ?"
Vraisemblablement.
"Il serait d’ailleurs intéressant de pouvoir disposer de la liste de ces œuvres ainsi que celle disparus à jamais. Avez-vous vu le film « monument men » avec george Clooney ?"
Pas du tout.
"C’est très ricain ( ils font ça pour l’amour de l’art il parait ) mais ça a au moins le mérite d’en parler ! Van gogo à Tahiti (avec Vincent Cassel) m’a bien plus par contre, j’espère que vous l’avez aussi vu !"
Non plus…
"J’ai aussi lu que le risque en faisant la sous couche en acrylique viendrait du fait que certains solvants/alcool employés lors du dévernissante attaqueraient celles-ci ! C’est pas vraiment top moumoute comme nouvelle !"
Il en est question, effectivement. La peinture acrylique en sous-couche n’est pas idéale. Comme enduit, oui ; comme peinture, non, ou alors, en simples jus aquarellés. Le vinyle est déjà mieux, car plus absorbant.
"Alors, colle de peau/céruse, etc, j’avoue que je n’ai pas encore eu le temps de me pencher dessus et je suis complètement nul sur le sujet."
Sur toile, c’est la préparation traditionnelle qui a fait ses preuves. Mais, encore une fois, personnellement, je n’ai pas confiance en la toile tendue sur châssis. Je l’évite au maximum. Sur panneau, tout est possible sans aucun risque !
Maintenant, si l’on ne veut aucune surprise en reprise à l’huile, une préparation à la colle de peau bien composée sur panneau marouflé ou non, est l’idéal. Mais cela demande un certain tour de main car cette colle n’est pas facile à manipuler. Sur petits formats, pas de problème. Sur un format conséquent, c’est une autre affaire. C’est pourquoi je propose des alternatives produits modernes/produits traditionnels.
"Mon expérience m’a montré qu’un gesso Liquitex est hyper râpeux et absorbant ! Ça accroche et ça gobe tellement que tout devient fade et terne alors même que je suis quelqu’un de généreux dans mes ratios peinture/médium. Après plusieurs essais, j’ai opté pour ça :
https://www.jacksonsart.com/michael-harding-non-absorbent-acrylic-primer-1000ml/
C’est justement spécialement conçu pour ne pas être absorbant. La consistance est un peu plâtreuse, ce qui est super quand je veux une surface bien polie ( Avec plusieurs couches et ponçages successifs ). En plus, il est vraiment extra blanc."
Je ne connais pas ce produit.
"Je vous entendait aussi parler du Plextol de chez Kremer.... ?"
C’est l’un des liants dont je me sers en stage, en particulier pour préparer la toile tendue sur châssis. Mais à adapter pour confectionner un encollage et un enduit que je trouve très agréables à passer, et ni trop absorbants, ni trop imperméables pour un travail à l’huile.
"Pour maroufler la toile, vu que j’y connais rien aussi, j’ai opté pour la solution qui me paraissait la moins pire, j’ai utilisé un gel médium Liquitex ( ils disent que l’on peut s’en servir comme colle de qualité archive au pH neutre ). J’ai ensuite pris un rouleau à pâtisserie pour bien appuyer la toile contre le bois ( sur lequel j’avais déjà mis du gesso pour imperméabiliser ). Le résultat est convaincant, certainement pas la moins chère je l’admet ! Mais qu’en est-il sur le long terme ? ( Ah oui, les solvants du dévernissage bien sûr ! )
Je sais que ce sont des sujets abordés dans vos stages, donc si vous préférez ne pas me répondre, je comprendrai parfaitement ! Je ne voudrais pas que vous pensiez que je profite de tous vos conseils gratuitement sans avoir à venir aux stages !"
Oui, la technique du marouflage est l’un des points abordés en stage : marouflage toile sur panneau et papier sur panneau. Ce sont les supports que je préconise et dont je me sers personnellement.
"Voilà c’est tout, j’ai finis de vous embêter !
Vous pouvez retourner à des occupations plus intéressantes :) !"
Je prends toujours le temps de répondre aux mails que je reçois. Et ils sont nombreux. Je publie ceux qui me paraissent intéressants pour les peintres qui fréquentent le site Atelier des Fontaines.
"Je vous envoie mes premières impressions sous peu, mais déjà, ce qui me surprend agréablement, c’est la rapidité de siccativité ! Ni trop longue ni trop courte, très naturelle, super bien équilibrée !"
N’est-ce pas ? Les oxydes métalliques correctement dosés en sont la cause. Ni trop pour devenir dangereux ; ni trop peu de manière à assurer la gélification des produits et leur siccativation harmonieuse.
"Merci encore pour tout le temps que vous prenez afin de combler mes ( nombreuses ) lacunes !
Ah merde j’en ai une dernière ! :)
Connaissez-vous des œuvres peintes à l’huile sur verre ? Hundertwasser en a fait quelques-unes à ma connaissance. Dans le monde du cinéma aussi avant l’ère numérique, il dessinaient des paysages en trompe l’œil sur verre avec une partie transparente pour le vrai décor et acteurs. Ils appelaient ça le mat-painting je crois, un truc dans le genre."
Non, pas personnellement. Désolé.
Bien cordialement,
Christian VIBERT