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Forum - Sujet n°104

Sujet n°104  -  Vers les techniques Flamandes
    -  par Yoann le 04/02/2020 - 18:55

Bonjour à toutes et à tous,

Le jeu des contrastes de la matière picturale (matière fine et transparente pour les ombres, plus charnue en allant des 1/2 pâtes vers les réhauts de lumière) est une des caractéristiques de la peinture flamande. En ce sens, une réalité matérielle s'impose et il faut savoir faire.Tout un tas de questions peuvent nous venir à l'esprit quant à la meilleure façon d'utiliser les matériaux et à telle fin etc... Voilà un peu l'idée de ce topic que je nous souhaite d'agrémenter ensemble.

Je pose aujourd'hui cette question pour les 1/2 pâtes.

Comment constituer à l'émulsion la meilleure demie-pâte du point de vue optique et de sa stabilité (pour une vélature colorée par ex), qui allie une assez grande transparence, une relative épaisseur, et de la précision pour l'écriture ?

Prenons les touches colorées dans la lumière de ce portrait de Rembrandt qui est un bon exemple, la peinture est presque organique, on dirait du verre, l'écriture est maîtrisée, solide... (zoomez bien)  :

Merci pour votre participation et vos retours,


Yoann
 



Réponse n° 1
    -  par Delac4 le 05/02/2020 - 11:35

Bonjour Yoann,

 


"Je pose aujourd'hui cette question pour les 1/2 pâtes.

Comment constituer à l'émulsion la meilleure demie-pâte du point de vue optique et de sa stabilité (pour une vélature colorée par ex), qui allie une assez grande transparence, une relative épaisseur, et de la précision pour l'écriture ?"


La précision est donnée par les caractéristiques de l'émulsion elle-même, car le fait d'ajouter de l'eau dans l'huile en modifie radicalement la consistance. Elle agit comme un frein. Elle permet de conduire la pâte avec toute la précision souhaitée. On la pose exactement là où on le souhaite.


Une vélature est, en principe, relativement mince. C'est un voile. Ceci étant, on peut la poser un peu plus épaisse si les matériaux utilisés sont peu opaques par eux-mêmes : blanc de plomb additionné de blanc de zinc par exemple, colorés ou non ; pâte contenant plus de liant , d'émulsion en l’occurrence.


Notez qu'une coloration froide apparaît spontanément, même en l'absence de pigment colorant : effet d'opalescence froide quand on superpose un clair sur un sombre. On est dans l'optique de la couleur. C'est là la richesse du travail avec des pâtes transparentes ou translucides.




"Prenons les touches colorées dans la lumière de ce portrait de Rembrandt qui est un bon exemple, la peinture est presque organique, on dirait du verre, l'écriture est maîtrisée, solide... (zoomez bien)  :"


Problème : le lien vers le portrait est absent. Pouvez-vous le renvoyer ?

 


Bien cordialement,

 


Christian VIBERT
 



Réponse n° 2
    -  par Yoann le 08/02/2020 - 11:53

Bonjour Mr Vibert,

Merci pour ces éléments de rappel éclairants. Effectivement, les qualités intrinsèques de l'émulsion permettent déjà de tendre au résultat que je recherche.
En fait lorsque je réalise une demi-pâte d'un mélange de 40% de couleurs tube avec 60% d'émulsion (Recette émulsion CV N°5 maigre et thixotrope à base d'une médium épais et tirant je précise) j'ai un problème aujourd'hui de siccativité. Appliqué en épaisseur moyenne (sur un support gras imprégné de vernis à retoucher) cette demi-pâte va prendre plusieurs heures pour se raffermir et permettre ainsi une superposition dans le frais avec une nouvelle teinte d'émulsion. Cela me fruste un peu, je ne peux peindre qu'une teinte par séance quasiment, au risque de mélanger plutôt que de superposer... Précision : il fait 16 degrés dans l'atelier ces temps-ci, peu de soleil (un velux au dessus du chevalet pour véritable exposition).
Mais comment apporter la siccativité nécessaire dans notre émulsion épaisse et transparente (60% d'émulsion - 40% couleur)?
Van Dyck s'enflammait-il en conseillant de coucher la couleur en une séance ?. Comment permettait-il que ses couches (d'émulsion colorées j'imagine) prennent aussi vite pour superposer ?

Le lien manquant à mon message précédent, j'espère qu'il fonctionnera, sinon il faut aller sur le site Google Art and Culture, cherchez " Rembrandt Laughing "
https://artsandculture.google.com/asset/rembrandt-laughing-rembrandt-harmensz-van-rijn/vgFXBjXYko3rW A
Bon week-end,



Réponse n° 3
    -  par ChristianVIBERT le 09/02/2020 - 14:11

Bonjour à vous,

Le travail à la technique mixte (médium/émulsion par superposition maigre sur gras dans le frais) est extrêmement polyvalent. Il existe un nombre impressionnant de manières de procéder et de jouer avec les matériaux que sont les pigments secs, en particulier le type de blanc mis en œuvre, et le liant de broyage (nature de l'huile ou des huiles, éventuellement même broyage à l'émulsion), sinon, les pâtes déjà préparées, le diluant (voire le mélange de diluants), le médium (donc le type d'huile, le dosage du vernis, et la proportion relative de l'huile et du vernis), la nature du liant aqueux, la proportion relative entre le médium et le liant aqueux dans la composition de l'émulsion, enfin l'introduction éventuelle d'eau en sus dans l'émulsion. Ceci pour ce qui concerne déjà les matériaux eux-mêmes.


Vient ensuite la manière de procéder : la relation entre le film de vernis à retoucher (médium dilué), la ou les couches de médium, la reprise avec la ou les couches d'émulsion, la quantité de matière mise en œuvre, le choix des brosses avec lesquelles on travaille, la manière de brosser, etc.


Bref, en dehors de l'aspect technique lui-même, qui se résument à la connaissance fine des matériaux et ce que l'on peut en attendre, et quelques principes simples de mise en œuvre, l'essentiel est affaire d'expérience. C'est en pratiquant qu'au fur et à mesure se découvre et s'acquiert la manière de procéder.


Cependant, pour personnaliser ma réponse, dans un premier temps, je vous conseillerais, pour faciliter vos superpositions, de partir sur un support plus maigre, donc plus absorbant, et de travailler avec moins d'émulsion : 60 % d'émulsion pour 40 % de pâte me semble excessif. Le simple fait de mêler un peu d'eau dans une pâte à l'huile en modifie la consistance. Aussi, avec un blanc de plomb mêlé d'un peu de blanc de zinc, vos pâtes n'ont pas besoin d'autant de liant en sus pour être translucides.


De même, travailler avec moins de matière. Superposer des couches minces est autrement plus faciles que se battre avec des épaisseurs. Ne fait pas du Rembrandt qui le veut !


Par ailleurs, superposer sans mélange, même avec un médium thixotrope et une émulsion bien composée suppose d'avoir la main légère et sûre. Si vous vous y reprenez en plusieurs fois, vous remobilisez la couche inférieure. Pour peu qu'elle soit un peu épaisse, nécessairement il y a mélange.


Enfin, différenciez bien siccativité et temps de prise. La siccativité est en relation avec la durée d'attente avant de pouvoir superposer une nouvelle couche sans risque de perturber la couche précédente, par exemple la rediluer. Le temps de prise, et son inverse, le temps ouvert, sont la durée pendant laquelle une pâte donnée peut être ou non mobilisée. On peut avoir un temps de prise rapide et une durée de siccativation longue, par exemple avec  un médium à l'huile de carthame contenant une forte proportion de vernis. A l'opposé, un médium gras flamand basée sur une huile à siccativité renforcée, mais ne contenant qu'une faible proportion de vernis et dilué avec un mélange d'essences de térébenthine et d'aspic, montrera un temps ouvert relativement long, mais pourra être sec le lendemain matin.

"Le lien manquant à mon message précédent, j'espère qu'il fonctionnera, sinon il faut aller sur le site Google Art and Culture, cherchez " Rembrandt Laughing."


Le lien fonctionne parfaitement : magnifique tableau de Rembrandt que je ne connaissais pas. Merci à vous.


Comme je vous le disais, la manière de procéder est essentielle. Vous noterez que, dans ce portrait, Rembrandt travaille avec des brosses souples, vraisemblablement des soies de porc longues. En particulier dans les lumières, il superpose ses touches à vif. Elles ne sont pas modelées. Par ailleurs, contrairement à nombre de ses tableaux, les touches colorées demeurent relativement minces. Toutes caractéristiques qui facilitent les superpositions. Enfin, sauf quelques touches de lumière dans le vêtement ou les cheveux, et les zones les plus sombres vraisemblablement posées en transparence, les pâtes sont plutôt opaques que translucides.

Il en est de même chez Van Dyck. Chaque séance est poussée le plus loin possible, dans le frais, ce qui n'exclut pas des reprises après séchage, en particulier la pose de glacis et le rehaut des lumières par des empâtements plus généreux.


Qu'avez-vous retiré de votre dernière visite des Rubens au Louvre ?


Cordialement,


Christian VIBERT



Réponse n° 4
    -  par Yoann le 16/02/2020 - 18:24

Bonsoir,
Merci pour votre retour précis, avec des piqûres de rappel qui me sont nécessaires. Certains principes devraient être définitivement rentrés mais, sur ce passionnant parcours je doute et j'oublie parfois... J'ai bien noté tous vos conseils pour améliorer la siccativité de ma peinture avec l'émulsion que j'ai déjà commencé à appliquer.Merci également pour vos commentaires sur le Rembrandt.
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Dites... Est-ce une idée étrange que de penser que la superposition dans le frais vaut surtout pour le maigre sur gras, en terme de qualités optiques j'entends ? Ou pensez-vous qu’il est possible de retirer d’aussi beaux résultats à frais maigre sur maigre ? Ce côté vitreux & moelleux ? Je n'ai pas assez expérimenté pour comparer, mais votre avis m'intéresse.
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Alors oui cette dernière visite au Louvre, merci de poser la question. Je me suis bien sûre ré-intéressé à Rubens, notamment ses esquisses dans lesquelles sa méthode est plus directe, synthétique je dirais et du coup mieux révélée. J'ai en fait vraiment beaucoup appris en les observant. J’ai pu admirer l’ensemble des petits tableaux de peintres flamands (Vermeer m'a scotché), quel leçon globalement...

De tout ça, j’ai retenu l’incroyable variété des matières, la surface animée, le rythme, la virtuosité de l'écriture rendue possible par les médiums et les émulsions. La vie quoi... La préparation des dessous en pâte à l'émulsion pour les lumières m’a littéralement captivé et motivé à mieux tirer profit du relief. J'ai mieux compris le travail préparatoire, cet appui solide pour les couleurs dont parle Anquetin. J'ai réalisé quelques photos d'assez près, la faible luminosité n'a pas facilité la chose mais j'ai quelques images parlantes que je partage ici et qui illustreront ces propos :

https://www.flickr.com/gp/186982261@N05/C2YS02

Je vous souhaite de pouvoir apprécier les détails.

Yoann

 



Réponse n° 5
    -  par Delac4 le 18/02/2020 - 10:19

Bonjour Yoann,


"Est-ce une idée étrange que de penser que la superposition dans le frais vaut surtout pour le maigre sur gras, en terme de qualités optiques j'entends ? Ou pensez-vous qu’il est possible de retirer d’aussi beaux résultats à frais maigre sur maigre ? Ce côté vitreux & moelleux ? Je n'ai pas assez expérimenté pour comparer, mais votre avis m'intéresse."


Superposer maigre sur gras, d'un point de vue optique, c'est opposer l'opacité à la transparence. Le résultat a, effectivement quelque chose de magique ! Le premier vient en avant quand le second donne véritablement l'impression de la profondeur. Mais ce n'est pas seulement une illusion Cette sensation s'appuie sur une réalité physique - nous aurons l'occasion d'en reparler en stage. C'est pourquoi le contraste opacité / transparence permet si bien d'exprimer celui opposant la lumière à l'ombre.


Tout aussi important, puisque vous parlez d'effet vitreux, est celui qui résulte de la superposition clair sur sombre ou l'inverse. On est dans l'utilisation des phénomènes d'opalescences chaude et froide, dont nous allons aussi parler en stage. Cette utilisation est d'usage constant dans la peinture flamande et hollandais. C'est cet emploi qui me permet d'affirmer qu'avec une technique aboutie, on peint bien entendu avec des pigments, donc avec des couleurs matérielles, mais aussi avec la lumière. On est véritablement dans l'optique de la couleur.

 

Quant à superposer maigre sur maigre, donc opaque sur opaque, c'est un moyen de travailler la matière picturale elle-même par le jeu des demi-pâtes et empâtements. C'est aussi une facilité matérielle qui permet d'avancer le travail plus rapidement sans avoir à attendre longuement la siccativation de la couche précédente, tout en sachant - et c'est là encore un avantage des médiums et émulsions thixotropes - qu'il est possible de superposer sans mélange, tout en conservant la possibilité de mêler de nouveau les couleurs si le besoin s'en fait sentir.



"Alors oui cette dernière visite au Louvre, merci de poser la question. Je me suis bien sûre ré-intéressé à Rubens, notamment ses esquisses dans lesquelles sa méthode est plus directe, synthétique je dirais et du coup mieux révélée. J'ai en fait vraiment beaucoup appris en les observant. J’ai pu admirer l’ensemble des petits tableaux de peintres flamands (Vermeer m'a scotché), quel leçon globalement..."


Plus directe, surtout. Il va à l'essentiel. Il néglige les détails. Je suis d'ailleurs persuadé que ce qui fait d'une œuvre une expérience esthétique quasi immédiate, une décharge émotionnelle véritablement, se joue dans l'extrême simplicité : la composition en tout premier lieu, cet équilibre des lignes, des surfaces, des clairs et des sombres. La sensation de lumière, aussi. Le choix d'une gamme colorée expressive, encore.


Ensuite, on peut prolonger l'expérience par un examen attentif des détails, la qualité de la matière picturale, la virtuosité de l'écriture, tout ce qui fait le charme d'une œuvre qu'on ne se lasse pas de redécouvrir bien qu'on l'ait vue cent fois. Mais ce choc émotionnel premier est ce qui fait la vérité d'une œuvre, et cette puissance expressive réside sur le fond dans une synthèse désarmante de simplicité.

 

"De tout ça, j’ai retenu l’incroyable variété des matières, la surface animée, le rythme, la virtuosité de l'écriture rendue possible par les médiums et les émulsions. La vie quoi... La préparation des dessous en pâte à l'émulsion pour les lumières m’a littéralement captivé et motivé à mieux tirer profit du relief. J'ai mieux compris le travail préparatoire, cet appui solide pour les couleurs dont parle Anquetin. J'ai réalisé quelques photos d'assez près, la faible luminosité n'a pas facilité la chose mais j'ai quelques images parlantes que je partage ici et qui illustreront ces propos : https://www.flickr.com/gp/186982261@N05/C2YS02

 

Je vous souhaite de pouvoir apprécier les détails."

 

Je vous remercie de publier ces documents précieux qui montrent, effectivement, la qualité et la variété de facture de ces œuvres. Elles sont les témoignages d'un métier quasi oublié, mais si riche d'enseignement !

 

Christian VIBERT   



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