"L’étude des recettes d’onguents et emplâtres indique la possibilité d’ajouter de l’eau lors de la cuisson, pratique qui devient quasi systématique au cours des XVI-XVIIe siècles. En peinture, c’est Léonard de Vinci (1452-1519) qui, d’après Maroger, améliora la recette d’Antonello de Messine par l’addition d’eau. On trouve aussi de nombreux textes conseillant l’ajout d’eau dans le traité compilé par de Mayerne. Il existe ainsi une transmission des techniques de la pharmacie et des cosmétiques avec celles de la peinture : s’inspirant d’une recette d’emplâtres, les peintres de la Renaissance l’auraient perfectionnée et retransmise ensuite aux apothicaires.
L’ajout d’eau constitue en effet une amélioration de ce procédé en limitant la coloration foncée du mélange. De plus, l’ébullition de l’eau permet une meilleure agitation et limite la température à 100°C. Suivant les recettes, la quantité d’eau représente la même quantité ou le double de celle d’huile. Il est souvent conseillé d’ajouter l’eau régulièrement pour éviter une évaporation totale. Si l’eau est présente tout au long du chauffage, l’huile obtenue présente des qualités bien supérieures."
"Bonjour M. Vibert,
Avez-vous déjà testé la cuisson des huiles en présence d'oxydes métalliques et d'eau ?
Bien à vous."
Bonjour à vous et merci pour l'envoi de ce texte.
Il se trouve que j'avais déjà la thèse dont il est extrait sur mon ordinateur, mais je ne me souvenais pas de ce passage.
Ma réponse à votre question est positive. Oui, parmi quantité d'autres essais, j'ai déjà eu l'occasion d'effectuer ce type de cuisson et selon diverses procédures. J'en donne d'ailleurs plusieurs dans l'ouvrage que j'achève d'écrire.
Maintenant, pour reprendre les idées exposées dans ce texte, affirmer que l'huile obtenue par la cuisson sur l'eau est supérieure sur celle à feu nu : ma réponse est non. Sinon, j'aurais opté depuis longtemps pour ce type de préparation ! L'huile obtenue n'est pas supérieure, elle est différente. Entre autres par le fait que, chauffée à très basse température, elle n'a pas pu bénéficier d'un début de polymérisation et que, par ailleurs, par ce procédé, on perd généralement une grande partie de l'huile à la décantation du fait d'une saponification intense.
Concernant la pâleur des huiles cuites sur l'eau, tout dépend de la manière de procéder car, à un moment donné de leur préparation, à moins de souhaiter les garder à l'état d'émulsions, il va bien falloir éliminer l'eau, en particulier en chauffant. Sans précaution, l'huile fonce de nouveau, et très vite. Dans les faits, leur pâleur n'est pas leur intérêt majeur, mais bien plutôt leur extrême souplesse ; ce qui amène, au passage, à user de ces huiles avec une grande modération au risque d'entraver le durcissement du film pictural.
Ceci étant, et je m'en suis déjà expliqué sur le site, craindre la coloration des huiles cuites à feu nu, c'est ne pas avoir vraiment compris comment elles fonctionnent et pourquoi cette crainte est largement infondée. Personnellement, je les emploie depuis plus de 45 ans sans aucun problème.
"P. 69 vous avez les résultats des tests de préparation d'huile cuite avec plomb et eau : la couleur est plus claire, l'huile moins visqueuse."
Il existe une multitude de manières de cuire une huile. Indépendamment de leur aspect après préparation, la question essentielle est : le produit résultant convient-il à un usage pictural ? Si vous lisez le texte auquel vous vous référez avec attention, vous constaterez que la quantité de plomb mise en œuvre dans les recettes proposées est très largement excessive, ce qui se voit entre autres à la consistance des produits obtenus, qui sont singulièrement épais et loin d'être transparents ! Comparez-les avec les huiles que vous avez reçues dans votre commande : les différences de consistance et de transparence sont évidentes !
Concernant, en particulier, l'échantillon d'huile cuite sur l'eau, s'il semble bien relativement pâle, il a la consistance d'une crème plus ou moins fluide et son aspect est opaque. Cela tient à son état de saponification avancée. Ce n'est plus une huile à peindre, mais un véritable siccatif ! Donc à n'utiliser qu'en quantité extrêmement modérée.
Le mérite de ces essais est de mettre en lumière les phénomènes physiques et chimiques en jeu, afin de mieux comprendre comment ce type de produits fonctionne. A terme, cela permet d'envisager de manière pertinente la restauration des œuvres qui ont pu souffrir de leur emploi. A aucun moment il n'est conseillé d'en faire de nouveau un usage pictural. Et, personnellement, je ne le conseillerais pas non plus ! C'est entre autres un usage abusif d'huiles sursiccativées de ce type qui a amené la dégradation d'un grand nombre d'œuvres de l'Ecole française au XIXème siècle (Géricault, Delacroix, Prud'hon...).
Bien cordialement,
Christian VIBERT