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Forum - Sujet n°107

Sujet n°107  -  Jordaens
    -  par Delac2 le 06/04/2020 - 09:27

Bonjour à vous,

 

« Je vous parlais de Jordaens et de son incroyable écriture de matière il y a peu au téléphone. Je vous joins un détail qui m’a bluffé, il est généreux vous verrez ! »

Merci pour ce détail très évocateur, impossible à publier ici, et c’est bien regrettable. La solution : indiquer le lien qui permet de s’y référer.

 

« J’imagine là que l’effet (dans la joue, le bandeau notamment ) est dû aux possibilités qu’offre l’émulsion. On dirait qu’à frais, le revêtement coloré est venu ré étirer l’émulsion à coup de brosses. »

Je ne pense pas que les glacis colorés aient été posés sur l’émulsion encore fraîche. Les traces dans l'onctuosité de la pâte sont restées très nettes. Un glacis dans le frais aurait eu tendance à les uniformiser, même avec un pinceau doux. Par contre, on voit bien comment les glacis se logent dans les sillons laissés par les outils, ce qui en accentue le relief.

Inversement, en particulier sous le visage, on aperçoit les vélatures pâles et translucides sur le fond plus sombre.

 

Malgré le rendu particulièrement réaliste, on  est bien loin d'une facture académique ! Un bel exemple de l'expressivité d'une figure par le geste et la matière picturale.

 

"Sur ce, je vous souhaite une belle journée."

À vous de même.

 

Bien cordialement,

 

Christian VIBERT



Réponse n° 1
    -  par yoann le 08/04/2020 - 09:19

Bonjour à tous,

D’abord, le lien vers l’image en question : https://artsandculture.google.com/asset/two-female-heads-and-the-torso-of-a-warrior-jacob-jordaens/TgGHhPrnuxUHsA?hl=fr
Zoomez, faites-vous plaisir chèrs gens !!! Nous nous attardons en particulier sur le visage de profil, à droite.

Christian, merci pour votre retour auquel je réagis à propos toujours de la méthode qu’a dû employer l’ami Jordaens.

Voilà, je me demandais si l’émulsion qui prépare le dessous (voir la tempe, la joue…), n’est composée que de blanc pur ?  En principe oui, c’est l’avantage de cette méthode qui permet (avec le blanc d’argent surtout) de poser d’abord le relief, la luminosité pour ensuite le revêtir de couleur, avec justesse.
Ou bien ce blanc est-il légèrement teinté pour varier et éviter le placard visuel ?

Toujours sur notre exemple, si ce travail de matière à l'émulsion est un «  placard » blanc, ça doit être déstabilisant une fois posé sur la toile vue la surface qu’il occupe… Avant l'arrivée de la couleur, j'imagine un grand déséquilibre visuel (hormis quelques touches de gris, mais minimes…). Empâtement blanc et ombres transparentes cohabitants sur un dessous teinté. Ça doit cracher ! Je me fais cependant la remarque que l’émulsion varie en épaisseur (cela se voit d’ailleurs sur l’exemple) au besoin du relief, cela donne peut-être l'impression d'une dégradation de lumière et de transition vers l’ombre… Jordaens à peut-être aussi apporter des rehauts de blancs après une première colorisation (voir la zone la plus lumineuse le long de la joue, vers l’oreille) ce qui laisse penser qu’au départ la tartine d’émulsion que l’on imagine n’était pas.

On manque d’exemple d’oeuvres inachevées pour apprécier ce travail des dessous. Je lance à ce sujet un appel à la documentation !!!

Donc progressivement la lumière se fond et s'atténue, on en vient à moins marquer l'écriture aussi (moins de relief) MAIS j'imagine que le blanc pur à lui aussi moins d'intérêt puisque la luminosité se meure…
Ill faut une dégradation de cette émulsion blanche qui doit jouer avec la teinte de la toile jusqu’aux ombres. Sinon le relief n’existerait pas et cette préparation n’aurait pas d’avantage ensuite (je le pense en tout cas).
Y’a -t-il un intérêt de coupler progressivement l’émulsion avec du blanc de zinc pour la fondre ? Je précise que dans mon raisonnement, il n’y a pas de noir mélangé au blanc pour dégrader la luminosité car dans notre exemple, il ne semble pas y en avoir hormis de rares petites zones (sous le visage.

J'en profite pour partager ce passage d'Anquetin extrait de " De l'Art " et qui fait écho à notre sujet :

" Plus le travail des tons, modelés, clair-obscur, effet, est monté sans couleur, plus la couleur devient difficile, impossible à introduire. Toute échelle du blanc et du noir étant juste, on ne peut plus glisser de couleur puisque cette couleur jouit elle-même d'une qualité de foncé qui modifie aussitôt le travail déjà fait, complet par lui-même. On peut donc conclure qu'il ne faut pas attendre la fin de ce travail pour introduire les couleurs : elles doivent y contribuer. "

C’est vrai ce qu’il dit ! Et ça répondrait en partie à ma question. Mais alors là quel jonglage !
Sur une même étape de travail cela implique :
Dessous blanc (gris aussi) à l’émulsion ET colorisation directe (là où la couleur n’a finalement pas besoin des dessous lumineux de l’émulsion mais se suffit à-elle même avec sa qualité de foncé ou de clair).

J’ai le sentiment que mes formulations sont un peu chaotiques, n’hésitez pas à me faire reprendre.

————————————————

Oui, je partage ce regret de ne pouvoir partager et poster de l'image sur ce forum, atout essentiel pour parler peinture. Aucune possibilité de faire évoluer cela ? Il y a peut-être permis les membres quelques experts en la matièr
e ?



Réponse n° 2
    -  par Delac2 le 08/04/2020 - 19:14

Bonjour Yoann,


« D’abord, le lien vers l’image en question : https://artsandculture.google.com/asset/two-female-heads-and-the-torso-of-a-warrior-jacob-jordaens/T gGHhPrnuxUHsA?hl=fr »

 

Même s’il n’est pas possible, à partir du Forum, de poster des images, et c'est bien regrettable, on peut permettre de cliquer directement sur les liens avec l’outil visible sur le bandeau (le globe avec une chaîne). Ce que j'ai fait ci-dessus.

 

« Christian, merci pour votre retour auquel je réagis à propos toujours de la méthode qu’a dû employer l’ami Jordaens. »


Je saisis bien, à travers votre examen attentif du travail de Jordaens et vos hypothèses sur la manière par laquelle il a mené son exécution, les interrogations que vous vous posez. Elles me font penser aux questions que je me suis moi-même posé, il y a des années, concernant la manière qu’avait Wacker de présenter la technique mixte, et pourquoi j’ai fini par la modifier, autant par les matériaux employés que par la mise en œuvre. J’en parle longuement dans l’ouvrage en cours d’écriture.

 

Premièrement, il faut considérer qu’il n’y a pas une manière unique de travailler, quoi que certains auteurs puissent le laisser à penser.


Deuxièmement, et sur ce point vous avez parfaitement raison de vous interroger, la manière d’ébaucher est de première importance. Elle engage le devenir de l’œuvre et son résultat visuel jusqu’aux couches ultimes. Partir sur une imprimature blanche ou colorée, ébaucher en grisaille ou directement en couleurs, travailler dès l’abord en transparence ou non, empâter dès les premières couches ou nourrir la couche picturale seulement à la fin, ces différents choix engagent de manière essentielle ce que sera l’œuvre au final. C’est bien d’ailleurs pour cela que chaque peintre finit pas se constituer sa propre manière de faire, appuyée sur ses choix esthétiques et les expérimentations qu’il a pu mener.

 

Pour en revenir à Jordaens, il ne me paraît pas concevable, en plein XVIIème siècle, qu’il travaille ses lumières uniquement avec du blanc, même si celui-ci est rendu plus ou moins opalescent par un ajout de liant, donc éventuellement une émulsion, et par une variation d’épaisseur, ce qui se voit dans les zones de transition entre les lumières et les ombres. Cette manière d’opérer, extrêmement méticuleuse et nécessitant de multiplier les couches, est celle des Primitifs, pas celle des Baroques.

 

Pour cette œuvre, Jordaens est parti sur un dessous brun, ce qui lui a permis de travailler aussi bien vers le clair que vers le foncé. Ce dessous demeure omniprésent aussi bien dans le fond que dans les figures.

 

Il travaille une pâte tout à la fois ferme et onctueuse. Il s'agit donc d'une matière riche en liant, mais non coulante, donc thixotrope. Ses blancs sont dès l'abord plus ou moins colorés. Cela n’exclut pas la possibilité de les glacer ensuite, dans un deuxième temps ; donc de les avoir posés, dans un premier temps, un peu trop pâles. Inversement, ce qui se voit parfaitement sur le fond, il peut être amené à reprendre en vélatures plus claires et translucides sur ses tons plus sombres.

 

Donc, non, il n’y a pas de « placard visuel », comme vous dites. Les couches posées, à quel que stade que ce soit de l’exécution, présentent toujours un rendu harmonieux. C'est une nécessité ! Comme lorsque l'on dessine, le travail doit pouvoir être abandonné à tous les stades de l'exécution.


Par contre, l’intensité des lumières et des ombres, et la saturation des couleurs évoluent de séances en séances jusqu’à obtenir un équilibre satisfaisant. D’où l’importance de pouvoir travailler tout autant en fa presto, qu’en un nombre de séances non limité, selon les besoins. Ce que permet la technique mixte mise en œuvre avec des matériaux performants.

 

Notez, enfin, qu’à l’époque de Jordaens, le blanc de zinc n’existe pas. Le blanc employé est quasi uniquement le blanc de plomb, éventuellement mêlé de craie (la céruse). Ses avantages ne sont plus à démontrer. Maintenant, le fait que nous disposions actuellement aussi des blancs de zinc et de titane ne doit pas être négligé. Le mélange en proportion variable de ces trois blancs aux caractéristiques fort différentes est d’un intérêt évident.

 

Bonne continuation.

 

Christian VIBERT



Réponse n° 3
    -  par yoann le 15/04/2020 - 13:42

Merci pour votre retour avec ces explications.

Pour compléter mon message précédent, je ne sais plus qui d’Anquetin, Maroger ou Havel disait que superposer la couleur (semi-transparente) sur une préparation de soutien blanc donne un éclat, une vibration lumineuse sans comparaison à un mélange direct de blanc avec la couleur. Les couleurs il est vrai ne produisent jamais autant d’effets qu’employées dans toute leur pureté (ça c’est d’Oudry l).

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 Vous expliquez :
" Pour en revenir à Jordaens, il ne me paraît pas concevable, en plein XVIIème siècle, qu’il travaille ses lumières uniquement avec du blanc, même si celui-ci est rendu plus ou moins opalescent par un ajout de liant, donc éventuellement une émulsion, et par une variation d’épaisseur, ce qui se voit dans les zones de transition entre les lumières et les ombres. Cette manière d’opérer, extrêmement méticuleuse et nécessitant de multiplier les couches, est celle des Primitifs, pas celle des Baroques."
Je me concentre peut-être un peu trop sur la technique Rubens et de Van Dyck, mais elle parle à mes tripes (j’ai d’ailleurs une petite préférence pour la touche de Van Dyck !) et donc m'obsède (je vous rassure je n'en souffre pas, bien au contraire !). Au fond de moi je veux comprendre leur méthode et réussir à reproduire ces effets particuliers de relief dus à l'ébauche en relief des lumières, cela contrastant avec la transparence et la douceur des ombres.

Lorsque vous dites : «  Cette manière d’opérer, extrêmement méticuleuse et nécessitant de multiplier les couches, est celle des Primitifs, pas celle des Baroques." Je ne suis pas sûre de saisir le sens de votre remarque.
Car, concernant toujours Rubens pour ne citer que lui, on voit sur ces œuvres (et travaux d'atelier) une préparation des lumières en dessous (par endroits, pas partout) + des superpositions de couleurs que j'imagine aussi superposées entre elles pour créer par transparence d'heureuses teintes.
Est-ce de cela dont vous parler comme la manière des primitifs ?  Eux ne soutenaient pas la lumière par un dessous lumineux en matière il me semble, mais ils réservaient pour la majeure partie de l'oeuvre le fond clair de la toile. Reprenez-moi si je me trompe.
A vous lire,
Yoann



Réponse n° 4
    -  par ChristianVIBERT le 16/04/2020 - 11:39

Rebonjour,



"une préparation de soutien blanc donne un éclat, une vibration lumineuse sans comparaison à un mélange direct de blanc avec la couleur"


C'est tout à fait exact ! L'essai peut en être fait à tout instant. Le mélange d'une couleur avec un blanc, surtout le titane, provoque généralement un phénomène de désaturation et, le plus souvent, de refroidissement. Alors qu'une couleur, même relativement terne, telle une ocre jaune, en transparence, donne un ton extrêmement pur, qui peut même rivaliser avec certains vrais jaunes. Ce qui ne signifie pas qu'il ne faille pas mélanger les couleurs à du blanc. Mais ces deux procédés n'ont pas le même usage.

 

"(j’ai d’ailleurs une petite préférence pour la touche de Van Dyck !)"


Moi aussi.

 

"Eux [les Primitifs] ne soutenaient pas la lumière par un dessous lumineux en matière il me semble, mais ils réservaient pour la majeure partie de l'oeuvre le fond clair de la toile."

 

Les deux procédures sont à l'œuvre. Si le résultat est obtenu directement par la superposition de la couleur en transparence sur le fond clair du panneau, le peintre s'arrête là. Sinon, il peut aussi être amené à reprendre en clair sur sa première couche de couleur, pour de nouveau glacer cette reprise, quitte à poser une nouvelle couche claire... jusqu'à obtenir le résultat souhaité. Par contre, les reprises en clair sont généralement minces. On est dans la mise en œuvre de la technique mixte dans sa version originelle.



C'est précisément l'un des points où je m'écarte de la manière dont Wacker expose la technique mixte. On peut aussi procéder autrement. C'est, par exemple, la façon de travailler de Rembrandt et de certains Baroques. La reprise en clair (qui n'est pas nécessairement un blanc pur) peut être posée avec plus ou moins de générosité (et parfois avec une générosité extrême !), puis glacée en transparence ; d'où un effet de matière tout à fait étonnant. C'est, à mon sens, le procédé utilisé en partie par Jordaens dans l'œuvre que vous avez proposée à l'examen.


Cordialement,


Christian VIBERT



Réponse n° 5
    -  par yoann le 16/04/2020 - 14:22

Bonjour Monsieur,

Merci pour vos dernières observations qui me parlent. Nous aurons l'occasion d'en reparler je l'espère lors du stage.
Pour l'heure je me lance dans une copie d'un portrait de Van Dyck, 2 copies même puisque j'en lance 2 versions en parallèle pour expérimenter 2 approches différentes. Une première avec la préparation relativement poussée au niveau du soutien de blanc et des ombres, une seconde en m'affranchissant de cette préparation et en envisageant par exemple plus de liberté avec des reprises en clair glacées.


J'espère être satisfait de cette expérimentation, je photographie les étapes de travail et je note sur vos conseils l'approche technique et les matériaux utilisés lors de ces séances.


A très bientôt,



Réponse n° 6
    -  par ChristianVIBERT le 16/04/2020 - 15:23

Bon travail. Tenez-nous au courant.


Christian VIBERT



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