"Bonsoir Monsieur Vibert,"

Bonjour à vous,

"Je voudrais également vous demander un avis sur le médium utilisé par Jan Van Eyck. Malheureusement, j'ai récemment eu une discussion sur un réseau social avec un peintre italien bien connu, qui a affirmé que l'huile de lin clarifiée au soleil était la pierre philosophale de la peinture à l'huile et que Van Eyck et Antonello da Messina l'utilisaient avec l'oeuf et avec vernis mastic. Je ne sais pas si j'en demande trop en vous demandant votre opinion à ce sujet.

Merci beaucoup."

Votre mail soulève de nombreuses questions. Je vais tâcher d'y répondre, mais succinctement.

Premier point : "un peintre bien connu", certes, mais pour quelle raison ? Est-il spécialisé en techniques de la peinture ? On peut être connu pour bien des motifs, sans être pour cela habilité à se prononcer sur un point technique précis.

Concernant maintenant votre question, la technique de Van Eyck et, plus généralement, celle de ses contemporains a suscité et suscite encore d'innombrables hypothèses au vu de la conservation étonnante de leurs travaux. Soyons clair, cependant, personne ne peut prétendre posséder la réponse. Parmi celles-ci, de nombreux auteurs ont donc proposé une possible réponse : Blockx avec la résine d'ambre, Xavier de Langlais avec la térébenthine de Venise et, possiblement, l'apport d'une résine de copal, etc.

A mon sens, mais ce n'est qu'un avis, pas une certitude, loin de là, et cela appuie en partie la déclaration de votre "peintre italien bien connu", l'hypothèse d'une émulsion est très vraisemblable et, en particulier, d'une émulsion à l'œuf. C'est d'ailleurs aussi le choix de Jacques Maroger. De nombreux arguments pourraient être développés pour appuyer cette thèse. Ce serait trop long à expliquer sur ce forum. Je le fais en partie dans l'ouvrage que je suis en train de faire imprimer. Mais cela justifie le fait que je ne cesse sur ce site de vanter la supériorité d'un travail à la technique mixte sur une pratique "gras sur maigre", qu'elle soit basée sur une huile  seule, ou même, sur un médium oléorésineux ou oléocireux, exclusivement. Travailler avec une émulsion procure des possibilités incomparables.

Ceci étant, à la différence de l'affirmation plus haut, l'emploi d'une huile seulement clarifiée au soleil ne me convainc pas du tout. Une telle huile est bien pauvre d'aspect après siccativation et ne donne absolument pas le brillant et la transparence des travaux de cette génération de peintres ! Quant à la future conservation, les œuvres impressionnistes et de toute la première moitié du XXème siècle, exécutées avec une telle huile, sont là pour nous montrer la faiblesse de ce produit. Faites-en l'essai vous-même, vous le constaterez facilement. Mieux que tous les discours et écrits, expérimenter soi-même est le meilleur test qui soit.

Pour ma part, encore une fois, je vois bien plus chez ces peintres flamands, la mise en œuvre d'une huile cuite. Maintenant, cuite de quelle manière et en présence de quels ingrédients, voilà la question ! Depuis Giorgio Vasari et sa " Vies des meilleurs peintres sculpteurs et architectes", publiée en 1550 à Florence, où il évoque, entre autres, les recherches de Van Eyck, aucune réponse définitive n'a été formulée. Est-ce vraiment un problème ? Non, à mon sens. Car quel peintre, actuellement, souhaite vraiment peindre à la manière de Van Eyck ? Fort peu, même si son métier se montre, effectivement, étonnant. Les techniques à l'huile ont ceci d'extraordinaire, qu'elles sont éminemment multiples et adaptables à chaque utilisateur. Ce qu'il faut, c'est en posséder et comprendre les principes et moyens de base pour, au fur et à mesure de sa pratique, savoir les adapter à ce que l'on cherche à exprimer. C'est le but essentiel que j'ai poursuivi en écrivant cet ouvrage.

Bien cordialement,

Christian VIBERT

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