Bonjour amis lecteurs, bonjour Christian,
Parmi les admirables qualités techniques de Van Dyck, il y a sa magnifique écriture en saillie, particulièrement dans ses blancs et que Maroger décrit si bien dans l'extrait que je glisse ci-dessous. On peut apprécier cet aspect sous une forme plus directe dans ses esquisses, en voici un exemple assez pertinent Ici
(J'en profite pour faire une parenthèse pour admirer le contour intérieur de cet avant-bras, marqué d'une ligne de terre d'ombre brulée plutôt nerveuse qui se diffuse moelleusement à l'intérieur, dans la partie supérieur de l'avant-bras. Et que c'est beau... C'est si simple et maîtrisé, les variations de la matière sont admirables...)
Je retourne à mes moutons, Maroger fait un distinction entre le médium de Rubens et celui de son élève, objet de ce sujet. Et ma question est la suivante : partant du médium flamand authentique de l'Atelier des Fontaines, en l'arrangeant autrement peut-être, est-il possible de s'approcher du matériau de Van Dyck et obtenir cette saillie ? Ce n'est pas seulement l'empreinte de l'outil qui est marquée chez Van Dyck, il se passe autre chose dans la matière j'ai l'impression. Maroger le dit plus maigre que celui de Rubens, je pense bien entendu à émulsion comme base. J'ai fait quelques essais avec du blanc de plomb, en diluant plus ou moins l'émulsion " flamande "d'essence de térébenthine, avec différents pinceaux (il me semble qu'un pinceau trop raide ne faciliterait pas cet effet), différentes façons de l'appuyer, de le faire glisser, tout cela sur vernis à retoucher appliqué sur un bon fond ni trop gras, ni trop maigre... mais je n'obtiens pas l'effet de saillie sur les deux bords de la traînée du pinceau. Voici ce que cela a donné avec ces 2 images, le plan le plus rapproché est peut-être ce que j'ai obtenu de plus expressif en ce sens.ICIet ICI
Votre avis Christian en tant que technicien de la peinture et connaisseur des matériaux m'intéresse !
Extrait de " A la recherche des secrets des grands peintres - Jacques Maroger - p70)
" Alors que Rubens utilisait des huiles épaisses, son élève Van Dyck passait auprès de ses contemporains pour utiliser des huiles légères : un examen en lumière rasante montre entre les deux maîtres d'appréciables différences. Tandis que le coup de brosse de Rubens laisse une empreinte compacte, moelleuse, onctueuse, celui de Van Dyck laisse des stries très prononcées, assez profondes, visibles à l'oeil nu, dans sa matière plus fluide et moins grasse. En saillie sur les deux bords de la traînée de son pinceau, des arêtes apparaissent distinctement, en particulier dans les rubans des costumes noirs et dans les chevelures. Au lieu du lourd médium compact de Rubens, sa matière est plus fortement chargée de pigment et ses couleurs ont un aspect presque métallique, comme si elles étaient étalées sur de minces feuilles. Ses blancs plus légers, ressortent très en relief, de même que ses bruns. L'aspect général de sa toile est plus rude. Du point de vue technique, il semble que Van Dyck obtenait très souvent le fondu de ses tons en employant une brosse sèche, ce qui peut se faire plus aisément avec un médium maigre comme celui qu'il utilisait qu'avec un plus riche comme celui de Rubens. Cela lui permettait de mélanger ses couleurs une fois qu'elles étaient étendues sur la toile."
Bonsoir Yoann,
"Parmi les admirables qualités techniques de Van Dyck, il y a sa magnifique écriture en saillie, particulièrement dans ses blancs et que Maroger décrit si bien dans l'extrait que je glisse ci-dessous. On peut apprécier cet aspect sous une forme plus directe dans ses esquisses, en voici un exemple assez pertinent."
Très bel exemple de sa matière si spécifique, en effet !
"Partant du médium flamand authentique de l'Atelier des Fontaines, en l'arrangeant autrement peut-être, est-il possible de s'approcher du matériau de Van Dyck et obtenir cette saillie ? Ce n'est pas seulement l'empreinte de l'outil qui est marquée chez Van Dyck, il se passe autre chose dans la matière j'ai l'impression. Maroger le dit plus maigre que celui de Rubens, je pense bien entendu à émulsion comme base."
Je vois que tu te poses les mêmes questions à propos des blancs flamands et hollandais que Maroger a pu le faire jusqu'à la fin de ses jours, sans être jamais vraiment parvenu au résultat souhaité. La raison de son insuccès : son refus obstiné d'introduire de l'eau dans ses blancs !
Observons ces empreintes si caractéristiques : il s'agit d'un blanc épais tendant naturellement à laisser des filets. Signature typique d'un blanc de plomb. Impossible d'obtenir cette écriture avec nos blancs modernes de zinc et de titane. Mais user de ce blanc ne suffit pas. Il faut qu'il contienne une part d'eau !
Comment procéder ? En partant du blanc pigmentaire hydrophile que tu as commandé, tu commences par le broyer à l'eau. Puis, peu à peu, tu introduis ton huile de noix démucilaginée, crue. Le blanc de plomb ayant plus d'affinité pour l'huile que pour l'eau, celle-ci va être, peu à peu, remplacée par l'huile. Mais il en demeurera toujours un peu. Tu broies aussi serré que possible (avec le moins de liant possible). Ce faisant, tu mets en œuvre le même procédé que les flamands et hollandais au XVIIème siècle, ce qu'on nomme actuellement le "flushing process".
Mais il y a plus : ce blanc se montre translucide, ce qui n'est pas la caractéristique majeure du blanc de plomb. Il faut donc y ajouter un liant qui lui communique cette qualité. L'ajout d'une part d'un liant épais, mais relativement maigre, est, alors, indispensable. Une émulsion répond précisément à cet usage.
Enfin, une légère dilution avec une essence peut être nécessaire, mais sans exagération, de manière à communiquer à la pâte une certaine fluidité.
Quant aux brosses, les mieux adaptées sont celles en soies de porc, donc suffisamment fermes, mais à soies longues, donc aussi relativement souples. Ces brosses sont de forme ronde, préférentiellement, la forme plate étant inconnue avant le XIXème siècle.
Pour ce qui est du médium de base, je penche pour un produit appuyé sur une huile Maroger cuite à basse température, donc pas trop épaissie, plutôt qu'une huile grasse flamande. Et, pour la pose des sombres, mieux vaut forcer sur la quantité d'huile que sur celle du vernis, le but étant de favoriser l'onctuosité.
Bien cordialement,
Christian
Bonjour et merci Christian,
"Observons ces empreintes si caractéristiques : il s'agit d'un blanc épais tendant naturellement à laisser des filets. Signature typique d'un blanc de plomb. Impossible d'obtenir cette écriture avec nos blancs modernes de zinc et de titane. Mais user de ce blanc ne suffit pas. Il faut qu'il contienne une part d'eau ! Comment procéder ? En partant du blanc…"
Entendu. Il faut que j'essaie cette méthode, bien que le broyage du blanc de plomb m’effraie (mon premier essai à l’huile de noix démucilaginée à été compliqué, seul), mais vais tester la méthode, je suis très curieux ! Je lisais sur votre site (lien) qu'avec le "flushing process" les pâtes de blanc de plomb conservaient des traces aqueuses qui contribuaient à l'obtention d'une matière mousseuse. Je n'ai jamais vraiment compris ce terme " mousseux ". C'est une caractéristique reconnue des pâtes de Rubens et des flamands pourtant. Pour moi " mousseux", c'est un effet de surface rugueux, micro-boursoufflé, irrégulier... S’il fallait comparé à un autre type d’effet de pâte que diriez-vous ?
Aussi, que débarrasse l'eau du pigment en le purifiant pour créer ce phénomène " mousseux " ? Pour comprendre...
Le blanc de plomb broyé à l'émulsion contient une part d'eau aussi, mais ce n'est pas le même résultat j'imagine ? Il me semble plus simple à préparer avec cette méthode celui-là, pouvant même nous affranchir de la molette à broyer !
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"Comment procéder ? En partant du blanc pigmentaire hydrophile que tu as commandé, tu commences par le broyer à l'eau. Puis, peu à peu, tu introduis ton huile de noix démucilaginée, crue. Le blanc de plomb ayant plus d'affinité pour l'huile que pour l'eau, celle-ci va être, peu à peu, remplacée par l'huile. Mais il en demeurera toujours un peu. Tu broies aussi serré que possible (avec le moins de liant possible). Ce faisant, tu mets en œuvre le même procédé que les flamands et hollandais au XVIIème siècle, ce qu'on nomme actuellement le "flushing process"."
Une vidéo didactique de ce tour de main serait incroyable pour engager les quelques motivés, qui ont toutefois besoin d'une démonstration pour se lancer !
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"Ces brosses sont de forme ronde, préférentiellement, la forme plate étant inconnue avant le XIXème siècle."
Ha vous m’apprenez quelque chose qui me surprend ! Vous voulez dire que même les stries dans les imprimatures de Rubens par exemple, pour les plus grandes toiles, étaient réalisées avec d'immenses pinceaux ronds ? (quoique immédiatement je me questionne sur la présence de ces stries dans ses grands formats, à vérifier)
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Je reviens très rapidement pour montrer mes premiers résultats de recherche avec le Maroger, déjà satisfaisants ! Au premier coup j'obtenais presque l'effet Van Dyck voulu. Par manque de temps je ne l'ai essayé que sous forme de médium. J'ai adoré le tester, il m'a surpris par son onctuosité qui procure beaucoup de plaisir sous la brosse, ça glisse agréablement. Avec des superpositions franches et non fondues, les rebords des couches superposées se fondent presque d'elles-même et délicatement avec la couche fraîche du dessous. C'est un effet de flou que je ressens assez bien dans le travail de Vermeer.
Bonjour Yoann,
"Il faut que j'essaie cette méthode, bien que le broyage du blanc de plomb m’effraie (mon premier essai à l’huile de noix démucilaginée à été compliqué, seul)."
Un premier essai, même difficile, ne signe pas un échec. Il faut poursuivre !
"Je lisais sur votre site (lien) qu'avec le "flushing process" les pâtes de blanc de plomb conservaient des traces aqueuses qui contribuaient à l'obtention d'une matière mousseuse. Je n'ai jamais vraiment compris ce terme " mousseux ". C'est une caractéristique reconnue des pâtes de Rubens et des flamands pourtant. Pour moi " mousseux", c'est un effet de surface rugueux, micro-boursoufflé, irrégulier... S’il fallait comparé à un autre type d’effet de pâte que diriez-vous ?"
Le terme "mousseux" n'est peut-être pas le plus approprié. Je le reprends car employé par Maroger lui-même, bien qu'il ne l'applique pas au fait du broyage préalable du blanc de plomb à l'eau, mais à la présence, selon lui, de cire. L'aspect se rapproche précisément de celui que tu signales, visible en particulier chez van Dyck. Un aspect naturellement empâté, irrégulier, obtenu dans l'instant du fait des caractéristiques de la pâte elle-même, et non par retouches multiples comme on peut le voir, par exemple, dans les empâtements impressionnistes.
"Aussi, que débarrasse l'eau du pigment en le purifiant pour créer ce phénomène " mousseux " ? Pour comprendre..."
Durant le processus de fabrication du blanc de plomb, à un stage intermédiaire, on obtient de l'acétate de plomb, combinaison de l'acide acétique, provenant du vinaigre, avec le plomb. Ultérieurement, l'acétate de plomb va lui-même se combiner avec le gaz carbonique, issu du fumier de cheval, donnant ainsi du carbonate de plomb (le blanc de plomb). Recette hollandaise traditionnelle. Mais il peut subsister des traces d'acétate de plomb. Celui-ci étant très soluble dans l'eau, le broyage préalable à l'eau permet, entre autres, d'éliminer ces traces indésirables.
"Le blanc de plomb broyé à l'émulsion contient une part d'eau aussi, mais ce n'est pas le même résultat j'imagine ? Il me semble plus simple à préparer avec cette méthode celui-là, pouvant même nous affranchir de la molette à broyer !"
Broyer le blanc de plomb directement à l'émulsion est une autre manière d'y introduire de l'eau, et les deux procédés peuvent être employés séparément ou conjointement. Naturellement, les résultats peuvent être légèrement différents du fait de la présence, dans l'émulsion, d'une part d'huile cuite et de résine.
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"Ce faisant, tu mets en œuvre le même procédé que les flamands et hollandais au XVIIème siècle, ce qu'on nomme actuellement le flushing process.
- Une vidéo didactique de ce tour de main serait incroyable pour engager les quelques motivés, qui ont toutefois besoin d'une démonstration pour se lancer !
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Mais je ne suis pas en mesure de réaliser ce type de document seul, tu le sais...
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"Ces brosses sont de forme ronde, préférentiellement, la forme plate étant inconnue avant le XIXème siècle.
- Ha vous m’apprenez quelque chose qui me surprend ! Vous voulez dire que même les stries dans les imprimatures de Rubens par exemple, pour les plus grandes toiles, étaient réalisées avec d'immenses pinceaux ronds ? (quoique immédiatement je me questionne sur la présence de ces stries dans ses grands formats, à vérifier)."
Ces stries sont surtout visibles dans ses ébauches et ses travaux personnels, donc généralement sur des formats de taille relativement réduite. Les brosses plates sont apparues avec la mise au point de la virole métallique, invention relativement récente. Autrefois, les poils des brosses et pinceaux étaient ligaturés par du fil encollé autour du manche, ou montés sur une hampe taillée dans la partie tubulaire d'une plume d'oie ou de canard.
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"Je reviens très rapidement pour montrer mes premiers résultats de recherche avec le Maroger, déjà satisfaisants ! Au premier coup j'obtenais presque l'effet Van Dyck voulu. Par manque de temps je ne l'ai essayé que sous forme de médium. J'ai adoré le tester, il m'a surpris par son onctuosité qui procure beaucoup de plaisir sous la brosse, ça glisse agréablement. Avec des superpositions franches et non fondues, les rebords des couches superposées se fondent presque d'elles-même et délicatement avec la couche fraîche du dessous. C'est un effet de flou que je ressens assez bien dans le travail de Vermeer."
Les peintres qui ignorent le travail avec les médiums flamands traditionnels et, surtout, avec l'emploi conjoint d'une émulsion, ne savent pas ce qu'ils perdent. Je ne cesse de le répéter...
Bien cordialement,
Christian