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Forum - Sujet n°148

Sujet n°148  -  Vélasquez et la calcite
    -  par ChristianVIBERT le 13/03/2022 - 16:23

"Je profite de ce message pour faire appel à vos nombreuses connaissances :  on retrouve dans l’ouvrage « Velasquez The technique of genius » de Jonathan Brown et Carmen Garrido que je lis actuellement mention de la calcite dans tous les analyses des oeuvres présentées.

Vous y faîtes allusion dans votre ouvrage dans le paragraphe sur les carbonates de calcium. La calcite semble apporter de la transparence aux couches picturales, mais je me demande si elle n’a pas d’autres fonctions."


Voici ce que j’en dis dans deux passages de l’ouvrage sur les techniques à l’huile :

 

La calcite est un carbonate de calcium cristallisé, peu absorbant, translucide dans l’huile. Elle se présente sous la forme de billes minuscules. Elle agit de manière contradictoire sur la touche. Du fait de sa forme, elle lui apporte de la mobilité mais, en même temps, la bloque en fin de course avec une extrême précision. Elle apporte à la pâte un aspect granuleux qu’on atténuera, si on le désire, par quelques tours de molette, soit préalablement en la mêlant à un peu d’huile, soit une fois les pâtes additivées.

Elle est particulièrement intéressante en mélange au blanc de plomb car, du fait de sa faible prise d’huile, elle lui apporte de la transparence sans augmenter sensiblement sa teneur en liant. On pense que Velázquez aurait utilisé cet additif dans ses pâtes.

 

L’addition de calcite, soit dans le médium, soit dans le blanc permet aussi d’approcher la texture très particulière de Velázquez. En effet, cette variété de carbonate de calcium se présente sous la forme de fines billes cristallisées. Elles communiquent à la pâte une consistance très particulière, paradoxale : un certain glissant qui s’interrompt dès que cesse le coup de brosse. La pâte y gagne aussi une légère translucidité et un aspect quelque peu granuleux qui peut être atténué si l’on broie rapidement à la molette le médium ou le blanc additivé, avant leur emploi.

 

"Il n’y a dans cet ouvrage sur la technique de Velasquez aucune mention de résine. Comment expliquer la bonne conservation de ces oeuvres si c’est le cas ? Qu’en pensez-vous ?"

 

Il n’y a pas que les résines qui favorisent la conservation des œuvres. La cire, par exemple, mais en quantité fort modérée, y contribue de même car il s’agit d’un produit très durable, très peu oxydable et ne jaunissant quasiment pas. Elle maintient, de plus, une certaine souplesse au sein du film pictural, limitant les craquelures.

 

Mais, pour revenir sur la calcite, les carbonates de calcium en sont d’autres exemples. Ils agissent, entre autres, par leur effet tampon, en limitant l’acidification du liant consécutif au phénomène d’oxydation, l’une des causes majeures de la dégradation du film pictural.

 

L’oxydation de l’huile, en effet, est l’une des voies qui amènent à la polymérisation de l’huile, donc à la constitution du film pictural. Mais, selon la manière dont cette oxydation se produit, elle est un processus à la fois constructif et destructif. Tout dépend le processus qui prend le pas sur l’autre.

 

C’est pourquoi, par exemple, la manière de cuire l’huile a toute son importance, car elle engendre bien un phénomène d’oxydation. Une huile correctement cuite gagne en siccativité et en durabilité. Trop cuite, ou en présence de trop de litharge, elle peut être gravement endommagée. Le meilleur exemple en est celui des huiles sursiccativées employées en France au XIXème siècle.

 

C’est aussi pourquoi l’ajout de certains additifs, soit au cours du broyage, soit au moyen d’un médium ou d’une émulsion, ne constitue pas systématiquement un acte de fraude. Tout dépend leur nature, leur utilisation et la quantité employée.

 

Bien cordialement,

 

Christian VIBERT



Réponse n° 1
    -  par ChristianVIBERT le 23/07/2022 - 21:05

Rebonjour à vous,

 

Je poursuis le message précédent concernant la pérennité du film pictural. Certes les carbonates de calcium, dont la calcite, les résines, si l'on n'en abuse pas, de même la cire, contribuent à sa durabilité. Ce sont clairement des additifs qui peuvent jouer un rôle positif, et pas seulement pour faciliter la manipulation des pâtes et modifier leur aspect.

 

Mais il ne faut pas négliger le rôle intrinsèque du liant de base que constitue l'huile, ou plutôt les huiles. Car, s'il est difficile de se passer des huiles crues, du fait de leur fluidité, pour le broyage des pigments, les huiles cuites, employées soit en coupage lors du broyage, soit comme composant majoritaire des médiums, constituent un apport irremplaçable. En l'absence même de résine ou de cire, par exemple, le simple fait d'introduire une petite quantité d'huile cuite dans la pâte picturale en améliore nettement la durabilité ; sans parler, bien entendu, des qualités esthétiques et de manipulation liées à ces huiles : onctuosité, voire un certain tirant selon la manière dont l'huile a été préparée, siccativité, brillant, transparence, jaunissement minimisé, souplesse, etc.

 

Car il y a huile cuite et huile cuite ! En effet, selon les paramètres représentés par la nature de l'huile, déjà, son état au départ (huile fraîchement pressée ou huile vieille donc préoxydée, huile de première pression à froid ou non), mais aussi la température de cuisson, la durée de chauffe, la présence ou non d'air, celle d'oxydes métalliques, sans parler même de la forme du récipient dans lequel ces huiles sont préparées, il est possible d'obtenir des produits extrêmement différents, donc aux caractéristiques bien spécifiques.

 

L'erreur majeure de l'Impressionnisme et de toute la peinture de la première moitié du XXème siècle aura été la suppression de ces huiles. A partir de années 55-60, dès leur réintroduction systématique sous la forme de médiums à ajouter aux pâtes préparées à l'huile crue, la matière picturale a pu retrouver un aspect sain et une richesse de bon aloi.

 

Un exemple édifiant est à voir, par exemple chez Raoul Dufy. En 1937, à l'occasion de la réalisation de "La fée électricité" (visible au Musée d'art moderne de la Ville de Paris), il croise Jacques Maroger. Pour réaliser cette immense œuvre  décorative, Maroger lui propose d'employer  une émulsion composée à partir d'une huile cuite au plomb additionnée de colle de peau. Or, de cette décoration peinte il y a maintenant 85 ans, on connaît la transparence, la luminosité et l'exceptionnel état de conservation. En sus des facilités d'exécution auxquelles l'huile cuite a participé, elle a contribué pour une bonne part à ce succès. Dufy, enthousiasmé par le résultat, continuera à employer le même produit pour ses réalisations personnelles. Et, effectivement, il n'y a qu'à comparer l'aspect visuel et l'état de conservation de ses travaux avant sa rencontre avec Jacques Maroger, et après, pour être convaincu de la supériorité de tels produits.

 

Christian VIBERT



Réponse n° 2
    -  par ChristianVIBERT le 02/10/2022 - 16:54

"Bonjour Monsieur,

 

J'ai bien apprécié votre article sur les additifs [article sur Pratique des Arts n° 165]. Je suis chimiste de métier, minéralogiste autodidacte et collectionneur de minéraux depuis plus de 65 ans. J'anime des ateliers de la couleur au cours desquels les participants fabriquent des pigments puis de l'huile, de l'aquarelle ou de l'acrylique.

 

Voici un détail qui a retenu mon attention dans ce que vous écrivez : "la calcite cristallise sous forme de billes minuscules". Or ce minéral se présente en rhomboèdres et non pas en sphères. Je sais par expérience que 99,99 % des artistes ne sont pas concernés par ce qu'il y a dans leurs tubes, alors billes ou rhomboèdres.... Pourriez-vous m' envoyer un petit commentaire sur ce point ?"

 

Bonsoir à vous,

 

Je vous remercie, déjà, pour l'envoi de votre mail à la suite de la lecture de cet article. Trop rares, en effet, sont les lecteurs qui réagissent à une parution.

 

J'apprécie, par ailleurs, le partage de vos connaissances. J'ignorais que la cristallisation de la calcite se présentait non pas en billes, mais en rhomboèdres. Et cette précision explique encore bien mieux le comportement très particulier de la calcite en tant qu'additif dans une peinture à l'huile ou un médium.

 

Comme je le décris et le montre par un document image dans cet article, une pâte additivée à la calcite court sous le mouvement de la brosse, mais se bloque immédiatement dès que le mouvement cesse. D'où, entre autres, les frottis que cet additif autorise avec une extrême facilité.

 

En effet, brossés avec détermination, que les cristaux aient une forme sphérique ou rhomboédrique ne change pas grand-chose. Malgré leur aspect anguleux, à l'échelon microscopique, ils roulent bien sous le mouvement comme le font des dés lancés sur un plateau de jeu. Par contre, en l'absence de force propulsive, ces mêmes angles doivent agir comme un frein efficace. D'où le blocage immédiat.

 

"Ceci dit, votre article est excellent. Lors des ateliers je m'efforce de plaider en faveur du rapprochement entre art et science."

 

"Recevez mes meilleures salutations colorées."

 

Je partage ce même effort dans l'ensemble de l'ouvrage que j'ai édité. Et je persiste à penser qu'associer l'art et la science permet d'aller bien plus loin que de se fier à la seule "inspiration" ou sensation, quoi qu'en pense, effectivement, la majorité des peintres. Pour aller de l'avant, marcher sur deux pieds, que je sache, est plus efficace que sauter à cloche-pied !

 

Bien cordialement,

 

Christian VIBERT



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