Bonjour Catherine,
"Je profite de ce message pour avoir votre avis sur le jaune de plomb étain, qui produit des savons de plomb semble-t-il d’après ce bulletin de la National Gallery [bulletin 24 de 2003 : Interactions pigments-médium dans les films de peinture à l'huile contenant du plomb rouge ou du jaune de plomb-étain], et sur sa place sur la palette du copiste."
Je précise tout de suite que je ne suis pas spécialiste des pigments. Concernant les produits picturaux, mon domaine de compétences concerne plutôt celui des liants : huiles, vernis, médiums et émulsions. Ceci étant, voici mon opinion.
Que les produits au plomb interagissent avec les huiles en donnant naissance à des savons de plomb, ce n'est pas une nouveauté. C'est même de cette réalité que le blanc de plomb (carbonate de plomb) tire son extraordinaire ductilité et sa remarquable capacité à s'empâter naturellement, d'où son emploi constant dans les techniques à l'huile pendant des siècles. C'est encore du fait de la présence de ces savons que ce blanc montre une excellente siccativité et une remarquable souplesse dans le temps.
C'est aussi à partir de ces réactions de saponification que l'on compose les huiles cuites appelées "huiles noires". Les savons de plomb formés leur apportent, là encore, leur souplesse et leur siccativité. De plus, ils réagissent en présence de la résine mastic pour former des gels thixotropes ô combien agréables à travailler. Par contre, il faut limiter la quantité de ces savons. En faible proportion, ils contribuent à améliorer le comportement des huiles, à la fois lors de leur emploi (accroissement de l'onctuosité, de la siccativité) et concernant la pérennité du film pictural. En trop grande quantité, au contraire, ils tendent à les dégrader. C'est le problème des huiles sursiccativées au plomb, caractéristiques du XIXème siècle français (Prud'hon, Géricault, Delacroix, etc.).
du plomb rouge (le minium, je pense) et du jaune de plomb-étain. Il est à noter que ces altérations apparaissent a posteriori, lors du vieillissement de la peinture. Dans ce bulletin, les auteurs pointent les dommages subis par les films picturaux du fait de la formation de savons de plomb. Les analyses montrent que ces savons se sont formés en présence en particulier Il s'agit donc bien de réactions de saponification non souhaitées par les peintres. La situation est fort différente concernant les réactions de saponification qui interviennent directement lors de la préparation des huiles noires ; réactions provoquées intentionnellement. Ces mêmes analyses indiquent, par ailleurs, que le blanc de plomb, même s'il saponifie partiellement les huiles, ne provoque pas ce type de dégradations. Quant à la litharge (oxyde de plomb), employée pour la préparation des huiles noires, elle n'est pas mentionnée non plus.
Que penser, alors, de l'emploi actuel des pigments anciens ? Il faut, déjà, se les procurer. Ce n'est pas simple et ils sont en général particulièrement onéreux. Maintenant, concernant la copie, s'il s'agit de se mettre dans des conditions les plus proches possible de celles des Maîtres afin de mieux comprendre leur manière de procéder, user de ces pigments est tout à fait justifié. On peut même aller plus loin dans le respect des pratiques traditionnelles : monter sa toile soi-même, l'encoller à la colle de peau, l'enduire avec un véritable enduit gras traditionnel, etc. Pourquoi pas ? Certains copistes le font.
Cependant, concernant les pigments anciens, il faut être conscient (et les analyses des laboratoires le prouvent) que nombre d'entre eux sont à la fois peu fixes à la lumière, et instables en mélange à certains liants et à d'autres pigments. D'où quantité de problèmes récurrents dans les peintures anciennes. Le bulletin dont vous faites mention plus haut en donne quelques exemples.
Alors, que faire ? Voici ma position. Comme je l'explique dans mon ouvrage et lors des cours et stages, je défends une attitude non sectaire. Je ne suis ni pour un emploi exclusif et dogmatique des matériaux anciens, ni un fan de la modernité a priori. Je prends le meilleur des deux mondes. Si les liants picturaux traditionnels sont plus performants que ceux proposés par la chimie contemporaine (et c'est le cas), j'en reste à leur emploi. Mais si certains produits modernes sont nettement plus adaptés à la préparation des supports et que cette même chimie a offert aux peintres quantité de nouveaux pigments bien supérieurs à ceux dont les Maîtres disposaient autrefois, pourquoi les refuser ? Et je persiste à penser que les Rubens, Van Dyck, Rembrandt, Vermeer et autres Vélasquez auraient agi de même.
Mon opinion concerne tout autant la copie, car il n'est guère compliqué, vu la qualité et la multiplicité des pigments contemporains, de dupliquer l'apparence des pigments traditionnels par un mélange adapté, que pour la pratique picturale en général. D'ailleurs, si j'ai bien compris la manière dont vous pratiquez la copie vous-même, je pense que vous partagez mon point de vue, tout autant concernant la préparation des supports que pour le choix des pigments. Ai-je raison ?
Bien cordialement,
Christian VIBERT
Bonjour Christian,
Merci pour cette réponse très documentée sur les pigments anciens.
En effet, prendre le meilleur des deux mondes est aussi ma position. Si mes premières recherches en qualité de copiste s’attachaient à retrouver la technique du peintre ou de la période, j’ai peu à peu renoncé à cette approche qui m’amenait à reproduire des erreurs. Il y a longtemps que je cherche autre chose, derrière la fidélité à l’œuvre originale.
Concernant les pigments, j'ai en cours deux copies d’après Vermeer, "La Dentellière" et "La Jeune fille à la perle", d’où mon intérêt pour le jaune de plomb étain, très présent dans ces œuvres. Avant de lire ce bulletin de la National Gallery, j’ignorais qu’il présentait l’inconvénient de produire des savons de plomb au point de faire des grumeaux ! Curieusement, je n’ai rien constaté de particulier sur ces deux tableaux que j’ai vu à plusieurs reprises au Louvre et au Maurishuis.
Bien cordialement.
Catherine
Bonsoir Catherine,
"Il y a longtemps que je cherche autre chose, derrière la fidélité à l’œuvre originale."
C'est, à mon avis, l'attitude la plus positive à cultiver. Copier pour tenter de refaire à l'identique, si tant est que cela soit possible, s'apparente à un travail d'archéologie picturale. Pourquoi pas ? Cela permet, certes, de mieux approcher la manière dont les Maîtres ont pu œuvrer. Mais j'estime qu'il est nécessaire d'aller au-delà. De la fréquentation des chefs-d'œuvre, il faut en tirer un enrichissement personnel, c'est-à-dire être capable de réinvestir ce qu'on a appris dans un travail personnel.
Par contre, il est regrettable que l'immense majorité des artistes contemporains aient délaissé la pratique de la copie. Tous les peintres, autrefois, la pratiquaient. En se frottant aux œuvres de leurs aînés, ils se formaient eux-mêmes. Et ce n'est pas pour cela qu'ils ne parvenaient pas à développer leur originalité. Je cite toujours l'exemple du Gréco, élève chez Titien et Tintoret, ce qui ne l'a absolument pas empêché de développer une facture éminemment personnelle ! Rubens, au cours de ses voyages à travers l'Europe en tant qu'ambassadeur, a passé une grande partie de sa vie à copier ses prédécesseurs. Et c'est bien de leur fréquentation qu'il a tiré sa fameuse synthèse mi-flamande mi-italienne. Delacroix, quant à lui, a copié la peinture baroque durant toute sa jeunesse. Son œuvre n'aurait pas été ce qu'elle est s'il n'avait pas connu Rubens, Rembrandt et Vélasquez !
Actuellement, les peintres, même professionnels, ignorent pour la plupart le b.a.-ba de leur métier. Ils passent leur temps à réinventer le fil à couper le beurre, ou s'essaient à l'originalité en exploitant jusqu'à plus soif un petit truc que, potentiellement, aucun autre artiste n'aurait eu l'idée de faire. Ils sont devenus des copistes d'eux-mêmes ! Ou comment développer une attitude nombriliste !
"Concernant les pigments, j'ai en cours deux copies d’après Vermeer, "La Dentellière" et "La Jeune fille à la perle", d’où mon intérêt pour le jaune de plomb étain, très présent dans ces œuvres. Avant de lire ce bulletin de la National Gallery, j’ignorais qu’il présentait l’inconvénient de produire des savons de plomb au point de faire des grumeaux ! Curieusement, je n’ai rien constaté de particulier sur ces deux tableaux que j’ai vu à plusieurs reprises au Louvre et au Maurishuis."
J'ai moi-même découvert ce problème à la lecture de cette étude. Et je n'ai pas mémoire, non plus, d'avoir noté un quelconque problème de ce type sur les œuvres de Vermeer que j'ai pu examiner. Il est d'ailleurs à noter que Vermeer n'est aucunement cité dans ce document.
Bien cordialement,
Christian
Bonjour,
Une autre video dans la quantité de la précédente, toujours en espagnol avec sous titres en français. Ça parle pas mal du rouge vermillon et du jaune de Naples.
Mais le propos est aussi très favorable à l'usage du plomb et du medium Maroger, en soutenant par contre qu'il n'y a pas de trace de ce medium avant le XVIIIe siècle.
Par contre il soutient l'idée que les peintures sur toiles sont mieux conservées que celles sur bois, c'est un sujet qui a l'air controversé (une restauratrice m'avait dit la même chose). Mais il n' aborde pas la question des toiles marouflées sur bois.
Rebonsoir Guillaume,
"Une autre video dans la quantité de la précédente, toujours en espagnol avec sous titres en français. Ça parle pas mal du rouge vermillon et du jaune de Naples.
Mais le propos est aussi très favorable à l'usage du plomb et du medium Maroger, en soutenant par contre qu'il n'y a pas de trace de ce medium avant le XVIIIe siècle."
Il serait intéressant que l'intervenant cite ses sources...
On a la certitude que des médiums du type Maroger (bien que non produits sous cette appellation, bien entendu), Roberson, Gumtion (ou Gumption) ont été employés à la fin du XVIIIème siècle et durant le début du XIXème, en particulier en Angleterre. Charles Roberson, un fabricant londonien a, en particulier, retranscrit sa recette dans ses archives. Et l'on retrouve mention de ce type de médium aussi bien dans les écrits de Mérimée que de Paillot de Montabert.
Concernant les périodes plus anciennes, Charles Lock Eastlake nous a laissé la copie d'un texte du XVIIème siècle concernant une recette attribuée à Van Dyck. Elle décrit précisément un médium du type Maroger. Il y a aussi le tableau du musée de Rennes, dorénavant bien connu, de Maarten Van Heermskerk, "Saint Luc peignant la Vierge", exécuté au XVIème siècle. Il montre clairement une goutte d'un médium gélifié sur la palette du peintre. Mais il est exact que les traces écrites demeurent, cependant, rares.
Si l'on s'intéresse, maintenant, non plus aux écrits, mais aux œuvres, il suffit d'examiner les tableaux baroques, les Rubens, Van Dyck et Rembrandt, pour apercevoir d'épais glacis transparents conservant les traces de la brosse, impossibles à obtenir autrement qu'avec un médium gélifié. A comparer avec les minces glacis du XVIIIème siècle français, par exemple chez Watteau, et à ceux du XIXème, typiquement chez Delacroix, ces derniers ayant même tendance à couler. Il est donc évident que le XVIIème siècle flamand et néerlandais a disposé de médiums thixotropes, produits inconnus ou inemployés par la peinture française entre le XVIIème et le XIXème siècle.
Et, dernier argument, que ces médiums aient été utilisés seulement à partir du XVIIIème siècle ou non, quelle importance ? Dans la mesure où ils permettent une exécution particulièrement agréable et des effets étonnants, pourquoi se dispenser de les employer ?
"Par contre il soutient l'idée que les peintures sur toiles sont mieux conservées que celles sur bois, c'est un sujet qui a l'air controversé (une restauratrice m'avait dit la même chose)."
Passez donc à Amsterdam ou à la Haye, villes qui accueillent pléthore d'œuvres flamandes et hollandaises, et pour cause ! Vous comparez, par exemple, les travaux de Rembrandt sur bois et ceux sur toile. La différence d'état de conservation saute aux yeux. Les œuvres sur toile sont souvent plus ou moins ternies et craquelées, quand celles sur bois, lumineuses et lustrées, semblent peintes d'hier !
"Mais il n' aborde pas la question des toiles marouflées sur bois."
Comme les icônes, souvent, la préparation d'un panneau comportait le marouflage d'une toile fine. Celle-ci est noyée dans l'épaisseur de l'enduit. Son intérêt : par son relief, favoriser l'ancrage mécanique des couches d'enduction sur le fond lisse du panneau. Mais pourquoi ne pas avoir laissé le grain de la toile apparent ? Il s'agit d'une question de choix en fonction de la facture envisagée. Si le peintre décide de travailler sur panneau, c'est qu'il souhaite, au final, une surface picturale lisse. La toile est alors utilisée, non comme un élément plastique, mais pour son intérêt technique. S'il préfère un support structuré, son choix se portera plus volontiers sur de la toile tendue sur châssis.
Quant à mon choix personnel de travailler pour l'essentiel sur de la toile marouflée sur panneau, cela tient au fait que, par ce moyen, j'associe la résistance et la stabilité du panneau de contreplaqué, à l'aspect caractéristique de la toile que j'apprécie. Et, depuis maintenant cinquante ans que je peins, je n'ai jamais observé la moindre craquelure sur mes travaux.
Bien cordialement,
Christian VIBERT