Bonsoir à vous,
Je me permets de publier votre message récent et d'y répondre sur le site Atelier des Fontaines.
"Pour l’outremer, je reconnais avoir une tendance au purisme qui peut virer à l’obsession… Mais je me soigne."
C’est un très beau pigment, effectivement, et qui n’a pas encore pu être remplacé par une version organique comme nombre de pigments minéraux.
"Aussi dans la très complète « Pigment Data Base » que vous indiquez dans les notes de votre livre, j’ai trouvé ce commentaire au sujet du PR83 (seulement 2 croix) : "Despite it's low light fastness ratings, some old master's paintings have survived virtually unchanged, perhaps becuase it was used mostly as a glaze, mixed with resins. » Et bien entendu, cela m’a fait rêver… d’où ma question sur la solidité à la lumière."
Les laques de garance, d’alizarine, etc., sont, en effet, réputées peu résistantes à la lumière. Si leur emploi par les Maîtres a pu donner des résultats corrects, c’est qu’ils avaient appris comment les utiliser. On en trouve des traces dans l'ouvrage de Turquet de Mayerne sous l'appellation de "Labeurs de couleurs". Voyez, dans mon ouvrage, le paragraphe C.9.13. « Exprimer la lumière par la matière picturale » et particulièrement la page 64.
Ces laques étaient utilisées sous forme de glacis, étant transparentes par nature. D’où leur emploi dans un milieu résineux. Mais je ne pense pas que la présence de la résine ait eu une bien grande influence sur leur comportement à la lumière.
A savoir qu’en pâte, outre leur siccativation extrêmement médiocre, elles ont systématiquement craquelé ; ce que l’on constate quasi constamment quand certains ont tenté de le faire.
"Enfin, j’ai compulsé de nombreux livres pour connaitre la palette des artistes du XV au XVII, et je n’ai trouvé que des bribes et beaucoup de suppositions... Je constate que vous mentionnez les NGTB de la National Gallery : j’y ai trouvé des infos sur certains pigments utilisés. Mais je suppose que, procédant par micro prélèvements, ils ont du se cantonner aux bords externes des oeuvres pour des raisons évidentes."
Personnellement, je déconseille nombre de pigments historiques. Je sais bien que certains ne jurent que par ces produits. À leur convenance !
Ce n’est pas mon cas. Autant, concernant les médiums, je considère que les produits traditionnels sont nettement plus performants que nombre de produits industriels contemporains. Autant, concernant les pigments, la chimie a fait de tels progrès depuis deux siècles que la gamme des pigments disponibles, et de très belle résistance, permet de répondre à quasiment tous les besoins. Je suis bien sûr que les Rubens, Vermeer et autres Rembrandt auraient exulté devant le choix dont nous disposons et se seraient détournés sans regret de bien des pigments dont ils disposaient à l’époque !
Bien cordialement,
Christian VIBERT
Merci pour vos réponses pleines de bon sens.
Mais étant étudiante et débutante, je trouve très enrichissant de copier des oeuvres. Quand je dis que je cherche à savoir quels pigments les Anciens utilisaient, c'est pour m'approcher au mieux de la bonne nuance, même si je sais qu'un travail de glacis est sans doute venu enrichir, approfondir ou modifier une teinte initiale, par exemple...
Mais justement, comment alors choisir mes couleurs ? à l'oeil, simplement ? ou bien existe-t-il une méthode plus intelligente ? Peut-être, parvenir à un résultat identique par mes propres moyens est justement le but du travail de copie ? Qu'en pensez vous ?
Et merci à vous pour votre réponse à ma publication précédente.
"Mais étant étudiante et débutante, je trouve très enrichissant de copier des oeuvres."
Je suis parfaitement d'accord avec vous. J'ai fait de même quand j'étais étudiant à l'Ecole des Beaux-arts de Paris (ENSBA). Plutôt que de traîner dans des ateliers où, à l'époque, on pensait "faire moderne" en jetant des seaux de peinture sur la toile à la manière de Pollock, j'ai préféré fréquenter les œuvres des peintres situées en face, au Musée du Louvre.
"Quand je dis que je cherche à savoir quels pigments les Anciens utilisaient, c'est pour m'approcher au mieux de la bonne nuance, même si je sais qu'un travail de glacis est sans doute venu enrichir, approfondir ou modifier une teinte initiale, par exemple...
Mais justement, comment alors choisir mes couleurs ? à l'oeil, simplement ? ou bien existe-t-il une méthode plus intelligente ? Peut-être, parvenir à un résultat identique par mes propres moyens est justement le but du travail de copie ? Qu'en pensez vous ?"
La copie a, à mon sens, deux fonctions : soit tenter l'imitation la plus exacte possible, cet idéal étant celui du parfait faussaire, soit apprendre à peindre par un contact approfondi avec l'œuvre copiée. Seule cette seconde fonction a un intérêt à mes yeux.
Alors, le fait d'obtenir la nuance colorée exacte par l'utilisation de pigments historiques n'a plus qu'une importance secondaire. Le but est de comprendre comment cette œuvre a été peinte pour intégrer une manière d'opérer dans des travaux personnels. Voilà la motivation qui a été la mienne et m'a, entre autres, mené sur le chemin d'une remise en valeur des techniques traditionnelles, mais enrichies de matériaux contemporains. Le meilleur des deux mondes, tout simplement !
Bien cordialement,
Christian VIBERT
Encore une fois, merci.
Votre réponse me remplit d'enthousiasme !
Bonne journée.
Catherine D
Rebonsoir Catherine,
"Je reviens également sur la question des pigments. J’adhère totalement à vos arguments sur la question. Il est indéniable que les Anciens auraient exulté devant la profusion et la qualité de nos ressources...
Cependant, comment m’approcher au mieux d’une couleur que je ne vois pas, que je ne connais pas ? Il me faut les expérimenter au moins une fois pour savoir comment m’y prendre ! J’ai déjà trop de mal avec les approximations dans la vie courante, imaginez qu’en peinture, ce n’est juste pas possible.
J’ai écumé les vendeurs de pigments, et me suis aussi heurté à un problème d’autorisation... Tous ces pigments que je veux découvrir, semblent inaccessibles. J’en trouve à la limite en tubes, mais comme je suis en technique mixte, je dois broyer moi-même (et j’adore ça)."
Je comprends le problème. Mes conseils :
1) Déjà, limitez au maximum votre choix de couleurs. Travaillant au moins en partie par glacis, même des couleurs aussi peu saturées, par exemple, que des terres permettent l'obtention de tons extraordinaires ! Personnellement, j'abuse de l'ocre jaune, du rouge anglais (oxyde de fer rouge), du bleu outremer et du vert oxyde de chrome. Ces quatre couleurs me servent quasi systématiquement de point de départ pour ébaucher. S'y ajoutent les blancs, bien entendu. Prenez l'ocre jaune posée en glacis : en opacité, recourir à un vrai jaune de cadmium est nécessaire pour égaler sa saturation, la profondeur en moins.
Autre intérêt, opérer avec peu de couleurs différentes, mais en en utilisant toutes les potentialités (transparence, translucidité, opacité) simplifie énormément le travail, autant lors de l'exécution (on ne se perd pas dans des mélanges complexes) que pour l'harmonisation. Se limiter à trois couleurs maximum est d'ailleurs un conseil bien connu des décorateurs d'intérieur.
2) Ce premier choix effectué, soit vous vous procurez des couleurs en tubes, mais en quantités minimales (20 ml), histoire de les essayer. Vous y ajoutez un bon médium oléorésineux pour obtenir les transparences, et une émulsion correspondante pour travailler les vélatures et les opacités. Même en technique mixte, cela fonctionne parfaitement.
3) Soit vous faites le choix, plus artisanal, de travailler à partir de pigments. Alors, commandez-en les plus petites quantités possible (souvent 100 ml). Toujours à titre d'essai.
Bonne suite de travail.
Christian