Un artiste peintre, semble-t-il déjà fort expérimenté, m'écrit ceci :
"Pouvez-vous me conseiller ? Voici plus de 30 ans que je fais et utilise le médium flamand à partir de la recette de Jacques Maroger. J'utilise donc de l'huile cuite (lin, noix) avec de la litharge ou du blanc de plomb, que je mélange au mastic en larmes dissous dans la térébenthine. Cela donne une sorte de gel censé être parfait."
Le médium Maroger a ses inconditionnels comme ses détracteurs forcenés. Le moins que l'on puisse dire est que, parmi les connaisseurs, Maroger n'aura laissé personne indifférent !
"J'ai eu l'occasion d'utiliser les mêmes produits industrialisés par Lefranc & Bourgeois à l'époque où ils fabriquaient encore ces produits à base de plomb (l'huile noire et le médium flamand)."
Le médium flamand Lefranc originel a été mis au point par Marc Havel dans les années 1955. Ce n'était pas un médium du type Maroger, bien que les recherches de ce dernier en aient été le point de départ. Si les produits de base étaient voisins (et non pas identiques), la procédure d'obtention était essentiellement différente. J'ai d'ailleurs reconstitué un médium très proche de celui proposé originellement par Lefranc, le "médium laque flamand". Je m'en sers actuellement pour mon propre usage et celui des peintres adhérents à l'association "ATP - Art et Techniques de la Peinture". Il est possible que je le commercialise sur le site d'ici quelques mois.
L'huile noire dont vous parlez était, par contre, un produit proposé par Claude Yvel, fabriqué et commercialisé par Lefranc beaucoup plus tardivement.
"Ces produits étaient largement améliorés par rapport à la recette originale de Maroger."
Améliorés ? C'est une question de goût... si l'on peut dire. Le médium flamand était nettement plus tirant sous la brosse, s'arrondissait beaucoup (effet laqué) et séchait avec un poisseux résiduel très faible. Cependant, certains considéraient qu'il tirait trop, prenait trop vite et qu'il avait un comportement thixotrope médiocre (tendance à couler au lieu de se figer). Enfin, il tenait mal les empreintes de la brosse. Yvel, entre autres, faisait partie de ses détracteurs, d'où sa proposition plus tardive de nouveaux produits parmi la panoplie Lefranc.
"L'huile noire Lefranc était beaucoup plus onctueuse."
Comparée à quelle huile ? La vôtre ? Il n'y en a actuellement pas d'autres sur le marché classique que celle sous appellation "Yvel". L'huile Lefranc était une huile "Yvel", donc une huile du type Maroger. Par contre, sur le site Atelier des Fontaines, vous pouvez en trouver cinq variétés différentes : version Maroger améliorée (plus stable), version onctueuse (la cuisson de l'huile est autre), version moyenne (intermédiaire entre les versions onctueuse et tirante), version tirante (cuisson prolongée et introduction d'autres oxydes métalliques) et version à siccativité renforcée (variation sur la version tirante, séchage en une nuit, idéale pour ébaucher et reprendre rapidement).
"Et le médium flamand était bien plus accrocheur et plus solide au séchage que le médium Maroger."
Oui, il était, en effet, plus tirant, et produisait un film pictural final plus résistant.
Comme dit plus haut, le médium laque flamand que je propose est disponible à la vente actuellement pour les adhérents, et le sera sans doute sur le site d'ici quelque temps.
Cordialement,
Christian VIBERT
(Suite de la conversation précédente) :
Merci beaucoup pour vos réponses très complètes. Je serai amateur de votre médium dès qu'il sera à la vente sur votre site.
Concernant l'huile noire, celle que j'obtiens est faite à partir de la recette du livre : "A la recherche des secrets des grands maîtres" de Maroger. Cependant j'ai toujours considéré que "mon huile"' était moins souple et onctueuse que celle achetée en commerce (Lefranc). J'ai essayé plusieurs solutions en modifiant les proportions et les temps et degrés de cuisson, sachant que l'huile commercialisée par Lefranc était à base de carbonate de plomb et d'huile de noix."
La recette de l'’huile noire composée et distribuée par Lefranc était basée sur la recette d'Yvel. Selon cet auteur, il s'agissait donc bien d'une huile de noix, mais cuite à la litharge. La température et le temps de cuisson jouent effectivement beaucoup sur l’onctuosité du produit obtenu, mais aussi la qualité de l’huile de départ. Il y a huile de noix et huile de noix.
(Suite)
"Pour clore le sujet, j'avais à l'époque contacté Lefranc et un technicien m'avait répondu que l'huile noire était à base de carbonate de plomb. L'huile de noix que j'ai utilisée était une "huile vierge Moulin de la Tour" (j'habite Bruxelles, c'est la seule huile de noix en vente). J'ai essayé avec de la litharge également."
Information intéressante et qui explique peut-être la déception que j'ai éprouvé, à l'époque aussi, en utilisant l'huile noire "Yvel" commercialisée par Lefranc. Employée avec le vernis mastic, elle constituait un médium du type Maroger, relativement pâle et de thixotropie agréable sous la brosse. Cependant, son séchage demeurait problématique. Le médium, très (trop) souple, restait poisseux des semaines durant, ne supportant en conséquence aucune superposition sans créer d'embus. Sur les conseils d'un technicien de chez Lefranc, j'y avais ajouté un peu de siccatif de Courtrai authentique, c'est-à-dire à base de plomb et manganèse, sans plus de succès.
Le fait que vous m'indiquiez que la version proposée par Lefranc était cuite au carbonate de plomb est très éclairant. Celui-ci dégage, en effet, beaucoup d'eau à la cuisson, ce qui favorise la formation de savons de plomb. Or, du fait de l'huile employée et du processus de cuisson exposé par Yvel lui-même, son huile développe déjà une quantité de savons fort généreuse, d'où sa souplesse qu'on peut ressentir comme excessive et sa tendance au poissant. Si, de plus, Lefranc s'autorisait à modifier la recette en usant de carbonate de plomb en lieu et place de la litharge recommandée par Yvel, tout s'explique ! L'huile Lefranc ne pouvait sécher à fond... ce que j'ai ressenti dès mes premiers essais. Je vous remercie de cette précieuse information.
Quant à l'huile de noix "Moulin de la Tour", je la connais bien pour l'avoir souvent utilisée. C'est une très belle huile de première pression à froid. Il est d'ailleurs dommage que Monsieur Bordier, qui la produisait, ait désormais pris sa retraite et ne la presse plus que pour les consommateurs locaux. On ne peut plus se la procurer par correspondance.
A savoir, cependant, que, comme toute huile de première pression, il est absolument indispensable de la démucilaginer ; ce qu'Yvel n'indique pas. D'où un jaunissement irréversible, fort regrettable si l'on considère précisément que l'huile de noix est censée être utilisée pour sa faible coloration. Ainsi, j'ai eu l'occasion de tester un blanc de plomb issu d'une grande marque américaine, broyé à l'huile de noix de première pression à froid, très beau d'aspect à sa sortie du tube, mais dont le jaunissement n'a pas tardé à survenir, dépassant de loin celui d'un blanc broyé à l'huile de lin (voir ici). Les Anciens ne s'y trompaient pas qui nous ont transmis nombre de recettes pour opérer cet indispensable travail préalable sur les huiles.
Cordialement,
Christian VIBERT