Bonjour,
Suite à votre appel téléphonique, je me permets de poursuivre la conversation à partir de ce forum.
La question est la suivante : peut-on valablement peindre à l'huile sans médium ou avec un médium réduit à son minimum ?
Basiquement, qu'est-ce qu'une peinture à l'huile ? Une masse pulvérulente de pigments liée par un liquide plus ou moins siccatif : huile de lin, d'œillette, de carthame, parfois de noix ou même de tournesol ou de soja. Les fabricants y ajoutent le plus souvent des additifs destinés, au mieux à en améliorer le comportement sous la brosse, mais aussi, bien souvent, à en diminuer le coût.
Comme telle une couleur à l'huile peut, bien évidemment, être utilisée seule. Maintenant, cet emploi est-il valable ?
Sur le plan de la manipulation, on dispose d'une pâte plus ou moins lourde, amorphe et au séchage le plus souvent fort lent : parfois plusieurs semaines. Les modelés fins sont extrêmement difficiles ; les superpositions dans le frais, impossibles à moins d'empâter très fortement ; les transparences, inexistantes. C'est la pâte impressionniste typique ! Ce qui ne signifie pas que l'on ne puisse rien faire avec un tel produit. La génération des Monet, Pissaro et autres Sisley nous ont prouvé le contraire.
Se pose maintenant un second problème : ce matériau est-il durable ? Les restaurateurs entrent alors en jeu, qui nous répondent par la négative. La preuve en est que, dans tous les musées du monde, dorénavant, la plupart des œuvres impressionnistes se retrouvent vernies, alors que leurs créateurs les avaient souhaitées mates, de manière à leur conserver leur luminosité. Les Anciens le savaient : une pâte broyée à l'huile crue ne dure guère plus d'un siècle... A moins de les vernir pour les soustraire à l'action oxydante de l'air, on perd irrémédiablement les œuvres exécutées ainsi.
On peut donc déjà avancer que peindre avec une couleur, comme l'on dit : "Telle qu'à la sortie du tube" n'est satisfaisant ni sur le plan de la manipulation, ni sur celui de la conservation.
Vous me signalez que, dans votre atelier, les élèves utilisent un médium sous la forme d'huile de lin additionnée d'un peu de siccatif, sans souci, par ailleurs, d'une quelconque règle du "gras sur maigre" et que, somme toute, le résultat semble satisfaisant.
Je répondrai que, déjà, il y a un certain mieux : la pâte doit siccativer dans un délai correct, ce que vous m'avez confirmé. L'usage d'une petite dose de siccatif n'est pas négatif en lui-même. Tout dépend du siccatif en question et de son dosage. Par ailleurs, le fait d'utiliser un surplus d'huile peut amener un début de travail par transparence et améliorer la possibilité de modeler. Par contre, les superpositions demeurent impossibles et la pâte, même plus onctueuse, sans produit jouant le rôle de frein, demeure difficile à conduire avec précision. Pour prendre une image : on a entre les mains un véhicule doté d'un accélérateur, mais sans possibilité de ralentissement. La pâte court sous la brosse sans qu'il soit possible d'en contrôler finement la trajectoire.
Vous me rapportez le fait que les élèves peuvent être, par ailleurs, confrontés à des problèmes d'embus. Ce constat n'est pas anodin : l'embu est bien le résultat d'une technique fautive. Et, précisément, du non respect de la règle du gras sur maigre ou d'une reprise sur un dessous insuffisamment sec. A terme, le risque de craquelures est présent. De même, l'usage immodéré d'huile crue, surtout celle de lin, peut amener des frisures et un jaunissement peu agréable.
L'introduction d'un vrai médium, non indispensable certes, permet d'aller bien au-delà. Sur le plan de la manipulation et des effets plastiques, l'huile cuite va offrir une onctuosité incomparable et, en présence d'oxydes métalliques, va siccativer la pâte en profondeur. Son jaunissement est, comparativement, moindre, la polymérisation ayant déjà été amorcée. Son indice de réfraction, supérieur, favorise la transparence. Celle-ci est encore améliorée par un apport de résine. Autre effet de la résine : favoriser la prise de la pâte, donc les superpositions et lui donner un certain tirant, donc en faciliter la manipulation fine. Quant à l'introduction d'une émulsion, outre une aisance de manipulation extrême, elle apporte une variété de consistance aux pâtes, qui permet la pose à la fois de vélatures, de demi-pâtes ou d'empâtements sans aucune difficulté. Et, plus que tout, une émulsion autorise, cette fois sans risque, de passer outre la règle du "gras sur maigre".
Enfin, concernant la durabilité, l'huile cuite, principalement quand cette opération a été menée à haute température (constitution de ponts carbone-carbone) est autrement plus résistante que l'huile crue. La résine, elle, permet de limiter l'oxydation thermique des huiles, donc leur durabilité. Quant à la plupart des liants aqueux, leur permanence et leur absence de jaunissement sont bien connus. Je ne parle pas même de la cire, liant particulièrement stable, même si son usage dans les liants huileux ou oléo-résineux doit rester modéré.
Alors, oui, il est vrai que l'on peut peindre sans médium, ou avec un médium basique. Mais il est aussi vrai que l'on peut envisager de faire un cent mètres chaussé avec des bottes ou de sauter dans une piscine avec une ceinture de plomb. Maintenant, est-ce le meilleur moyen de réussir un exploit ou, tout simplement, d'y prendre du plaisir ? Là est la vraie question !
Cordialement,
Christian VIBERT